Comme le prévoyait déjà en 2008 le rapport du groupe de travail interministériel sur l’éducation au développement durable (Brégeon, Faucheux et Rochet, 2008), les organisations syndicales sont à la fois parties prenantes et en position d’expertise dans l’éducation au développement durable pour l’élaboration des programmes éducatifs et de leurs référentiels de formation et de certification, en particulier en ce qui concerne les thématiques professionnelles.

Pourtant, le récit produit par la mémoire collective sur notre passé souffre d’un biais cognitif en nous restituant l’évolution environnementale du mouvement syndical comme essentiellement forgée à l’aune de la logique productiviste de la société marchande. Cependant, « les sources syndicales conduisent à remettre en cause les analyses de l’histoire des préoccupations environnementales comme un processus uniforme dans une société française homogène » (Bécot, 2012). Au demeurant insuffisamment étudiée, l’histoire des préoccupations environnementales dans les organisations syndicales montre que la CFDT, lors de son 35e congrès confédéral en 1970, a joué un rôle particulier en instaurant, comme l’un de ses axes revendicatifs, l’amélioration du cadre de vie.

Depuis, la CFDT s’est résolument tournée vers une pratique du dialogue social à tous les niveaux de la société et la création d’espace d’échanges lorsqu’ils n’existent pas, option défendue en particulier dans les dernières négociations sur les réformes du travail et des instances représentatives1. Ainsi, l’intervention des corps intermédiaires se voit resituée au coeur de la gouvernance et du développement de nos sociétés par un dialogue constant entre toutes les parties prenantes. Chevilles ouvrières des relations professionnelles au sein des entreprises et administrations, les organisations syndicales sont désormais des partenaires de premier plan en matière de responsabilité sociale des entreprises et de développement durable pour défendre les intérêts propres des salariés au sein des chaînes de valeur globalisées et des régulations internationales en intégrant les enjeux économiques, sociaux et environnementaux aux relations du travail. Depuis plusieurs années, adoptant des stratégies différenciées selon des positionnements critiques sur l’envers du progrès technique (CFDT, 1977, 1980), voire oppositionnels à certaines options technocratiques, les organisations syndicales développent leur propre expertise (Descolonges, 2011, 2015 ; Felli et al. 2014 ; FSU, 2010). En effet, pour échanger ou négocier avec les partenaires patronaux, politiques ou associatifs, l’exercice des responsabilités syndicales suppose une compréhension systémique des processus à l’oeuvre et une expertise entretenue sur les six objectifs du développement durable (ODD) prioritaires identifiés par la Confédération syndicale internationale : i) une protection sociale et des seuils minimaux de protection sociale pour atteindre l’ODD1 (« Pas de pauvreté ») ; ii) le respect des lois anti-discrimination sur le salaire minimum et les normes fondamentales pour atteindre l’ODD5 (« Égalité entre les sexes ») ; iii) la garantie des droits des travailleurs, du dialogue social et de la protection sociale pour atteindre l’ODD8 (« Travail décent et croissance économique ») ; iv) l’adoption de politiques fiscales, salariales et de protection sociale permettant de réduire les inégalités pour atteindre l’ODD10 (« Inégalités réduites ») ; v) la mise en oeuvre de plans de transitions équitables pour atteindre l’ODD13 (« Mesures relatives à la lutte contre le changement climatique ») ; vi) la liberté d’association et de de négociation collective pour atteindre l’ODD16 (« Paix, justice et institutions efficaces »). Construite à partir d’une pédagogie collaborative basée sur l’ubiquité des outils de la communication numérique, la participation plurielle des organisations syndicales aux actions de formation sur les ODD permettrait de contribuer significativement à la mise en oeuvre du Programme des Nations-Unies à Horizon 2030, par une éducation au développement durable en phase avec les revendications d’émancipation humaniste et de progrès social qui nourrissent les différentes composantes du mouvement syndical au plan européen et international. Ainsi, la Confédération européenne des syndicats (CES) soutient les ODD et salue le rôle joué par l’Union européenne pour les définir et les adopter (CES, 2016). En outre, la CES a récemment édité un guide à l’intention de ses syndicats membres pour favoriser une transition plus équitable dans le contexte ds politiques d’adaptation au changement climatique (CES, 2018). Au cours du processus d’adoption d’un cadre rénové des ODD par l’Assemblée générale des Nations unies (septembre 2015) et d’établissement du Programme d’action d’Addis-Abeba (juillet 2015), le Réseau syndical de coopération au développement (RSDC) de la Confédération syndicale internationale (CSI) a coordonné la participation des syndicats aux processus des Nations unies sur les ODD et sur le financement du développement aux niveaux national, régional et mondial. Au sein de ce cadre rénové des ODD, figurent des priorités essentielles pour la CSI. Ainsi, l’ODD 8 « Promouvoir une croissance économique soutenue, participative et durable, le plein emploi productif et le travail décent pour tous » est repris dans ce cadre rénové en tant qu’objectif spécifique. L’ODD 1 comprenant la mise en place de « systèmes et mesures de protection sociale pour tous, adaptés au contexte national, y compris des socles de protection sociale » d’ici à 2030 en matière d’éradication de la pauvreté, la réduction des inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre constituerait une avancée importante pour la CSI. En outre, la CSI se félicite des objectifs spécifiques en matière d’éducation, de genre et des engagements en matière d’alimentation, d’énergie et d’action face aux changements climatiques. Enfin, le Programme d’action d’Addis-Abeba institue un cadre général sur le travail décent et la protection sociale dans les sept domaines transversaux concernant ce programme sur le financement du Développement durable.

Références Brégeon J., Faucheux S. et Rochet C. (2008) Rapport du groupe de travail interministériel sur l’éducation au développement durable. Bécot R. (2012) « L’invention syndicale de l’environnement dans la France des années 1960 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2012/1 (n° 113), p. 169-178. CES (2016) Déclaration de la CES sur un avenir européen durable.www.etuc.org/sites/default/files/publication/files/20180511-cop21_guide_etuc_2018-web.pdf CES (2018) A Guide for Trade Unions. Involving Trade Unions in Climate Action to Build a Just Transition. www.etuc.org/sites/default/files/publication/files/20180511-cop21_guide_etuc_2018-web.pdf. CFDT (1977) Les dégâts du progrès. Les travailleurs face au changement technique Le Seuil, 316 p. CFDT (1980) Le Tertiaire éclaté. Le travail sans modèle. avec JP. Faivret, JL. Missika, Le Seuil, 371 p. Corral-Broto P., Bécot R. (2013) L’environnement des travailleurs au XXe siècle. https://f-origin.hypotheses.org. CSI (2015) Priorités syndicales en matière de développement. Résolution du Conseil général, São Paulo, 10-12 octobre. www.ituc-csi.org/IMG/pdf/ituc-15gc_f_11-resolutionanddeveloppement-fr-01.pdf. Descolonges M. (2011) Les démarches de la CGT en matière d’environnement. Droits nouveaux et enjeux d’apprentissage, Paris, IRES. Descolonges M., dir. (2015), « Syndicats et transition écologique », Écologie et Politique, n°50,. FSU (2010) La Crise écologique, une question syndicale, Paris, FSU/Solidaires. Felli,R., Flipo F., Grisoni A., Morena E. (2014) « Le travail contre nature ? Syndicats et environnement », Mouvements 2014/4 (n° 80), La Découverte.

1 : A lire : Laurent Berger, Pascal Canfin, Réinventer le Progrès, Les Petits matins, 2016