Nous avons tous rencontré des salariés qui se plaignent que les fonctions ressources humaines (RH) sont souvent loin de leur réalité professionnelle quotidienne. Les RH ont un rôle difficile et dominé par des tâches gestionnaires. Trop occupés par la gestion des talents et la recherche des hauts potentiels, les responsables RH seraient ainsi perçus comme des « jardiniers du premier cercle et les gestionnaires à distance de tous les autres » pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux. Ce à quoi répond ce manager d’une grande entreprise de transport : « le postulat désormais admis est que la responsabilité du personnel relève du champ d’action et de la compétence hiérarchique ». Les managers sont-ils sommés de prendre le relais ? En quoi ce transfert nous concerne-t-il, nous, syndicalistes ?

De nombreuses questions relèvent de la gestion RH concernent directement les managers : les principes de gestion de carrières et des mobilités, les critères et règles de classification des postes, les besoins en effectifs en compétences (en vue d’organiser la formation et les recrutements), la reconnaissance... Délégataires de fait, d’une bonne partie de la gestion RH, ils sont ainsi dans une position inconfortable et incertaine. Les actes de gestion RH des managers sont nombreux, au premier rang desquels le sacro-saint entretien d’évaluation (dorénavant l’entretien professionnel tous les deux ans), sans oublier l’entretien annuel des salariés au forfait-jours. Reconnaissons une certaine complexité dans la juxtaposition et les interactions entre ces différents actes, qui sont pourtant tous essentiels dans la relation avec les collaborateurs. Ils sont chronophages et nécessitent une réelle préparation par le manager, en lien avec la direction RH et le collaborateur.

Côté rémunération, c’est aux managers qu’il revient de trouver les meilleurs équilibres possibles dans les propositions d’évolution salariale de ses collaborateurs. C’est d’ailleurs dans ce domaine qu’ils ont le moins de marges de manœuvre. Les managers sont par ailleurs très concernés par la gestion des effectifs et des compétences au sein de leur service ou département. Il leur faut anticiper un départ (retraite, démission, maternité…), un souhait de mobilité, mettre en œuvre les actions de réorganisations et de recrutements… Ils doivent veiller à ce que les formations soient effectivement suivies et satisfaire dans ce domaine tous les collaborateurs, veiller à adapter leurs compétences en fonction des besoins de l’entreprise, maintenir les ressources efficientes tout au long de l’année… La traditionnelle « tournée » quotidienne ne suffit plus. Il faut se parer d’un costume du RH. En outre, dans un contexte où les tensions au travail s’accroissent dans certaines organisations, il faut veiller à l’émergence de risques psychosociaux et autres pathologies. Postés en première ligne, les managers voient les conséquences des stratégies de « mise en tension » à l’égard des salariés (voire d’eux-mêmes). Ils peuvent se sentir fautifs et responsables de situations difficiles.

Ne faisons pas des managers des héros et donnons-leur les moyens de réaliser ces missions RH. Il leur faut batailler dur pour obtenir les effectifs, les compétences indispensables et la reconnaissance du bien-fondé de leurs demandes. Ce rôle revendicatif en moyens humains, techniques et financiers (mais également en temps et en espaces de travail) les place parfois dans une position très délicate entre une ligne hiérarchique et les services fonctionnels.

Revendicatif ? Voilà qui rapproche les managers des représentants des salariés, à l’interface, eux aussi, avec la direction. Car coté syndical, il faut dépasser le rôle légal et habituel des négociations sociales. Les représentants des salariés ont un rôle à jouer pour tout ce qui concerne les modalités et la qualité de vie au travail ainsi que la gestion du personnel. Ils contribuent à privilégier la dimension humaine lorsqu’elle est minorée et à renouer le lien entre management opérationnel et direction RH lorsque celui-ci est rompu.

Les représentants du personnel sont les porte-parole des salariés, différemment mais en complémentarité avec les managers. Etablir un dialogue social et un dialogue professionnel de qualité ne suffit pas : l’un doit nourrir l’autre. Managers, responsables RH et représentants du personnel ont un rôle complémentaire au service des salariés. Leurs intérêts peuvent différer, mais nous savons combien est nécessaire la confrontation des logiques. De leur côté, les managers ont aussi intérêt à échanger régulièrement avec les représentants du personnel : les écouter sur leurs préoccupations et leur perception de la vie de l’entreprise au quotidien. Après tout, quand un problème dépasse le niveau de l’équipe ou du service, les différents acteurs doivent le faire remonter. Les représentants sont un appui précieux pour les managers, en leur évitant des décisions inadéquates ou en les aidant à porter au bon niveau les problèmes qui peinent à gravir les niveaux hiérarchiques.

Saisissons l’opportunité de ce transfert de missions RH vers les managers de proximité pour réconcilier management et syndicalisme. Il ouvre la possibilité au dialogue social de se rapprocher du travail et d’ajuster les revendications au dialogue professionnel. Le soutien RH devrait s’appuyer sur le manager, le responsable RH et les représentants. Lorsque l’un d’eux fait défaut, c’est l’organisation du travail et la conciliation des temps de vie qui sont déséquilibrés.

* : J.-P. Bouchet, B. Jarry-Lacombe, Manager sans se renier, Ed. de L’Atelier, mai 2015.