J’ai été responsable des ressources humaines durant de nombreuses années, notamment au sein du groupe Areva et j’ai rejoint il y a quelque temps le cabinet Alixio dont le métier est le conseil en stratégie sociale et management du changement. J’ai par ailleurs présidé plusieurs années le comité « management » du Medef. La simple mise en place de ce comité fut une véritable innovation, car les avis étaient divers parmi nous. Les travaux de ce comité ont porté sur la performance durable et sur la responsabilité sociétale du chef d’entreprise. Celle-ci repose notamment sur l’existence d’un management respectueux de l’homme et de l’écosystème de l’entreprise dans son ensemble : clients, fournisseurs, sous-traitants, actionnaires, collectivités locales et territoriales, etc.

Un manager dirige et anime son équipe pendant une période en général assez longue. Il faut lui donner le temps et les moyens de l’action. Si nous nous mettions d’accord autour du constat selon lequel il faut rechercher un management durable permettant une performance durable, nous aurions réussi à transformer la vie de nos organisations. Ce « nouveau management » que nous appelions de nos vœux se définit par trois grands principes qui tiennent à la transparence du projet d’entreprise, à la mise en place d’un environnement de travail favorable, à l’engagement des salariés ainsi qu’à l’existence d’un système de rétribution et de reconnaissance qui valorise équitablement les contributions individuelles et la réussite collective. A ce titre, j’ajouterai que les travaux et les ouvrages sur le management sont rares. Je salue le livre de la CFDT Cadres Manager sans se renier1 qui s’efforce d’établir un pont entre l’action de management, très rationnelle, et la notion de reniement, qui renvoie davantage à des croyances. Le manager est lui-même managé. Il va s’occuper des autres et essayer de les faire grandir mais attendra que quelqu’un s’intéresse également à son travail, ce qui est très important. Cette recherche de sens et d’intérêt pour l’autre doit conduire à s’intéresser au métier, qui est beaucoup plus important que le poste occupé par les uns et les autres. Plus personne n’utilise le terme de « métier ». Cela me paraît pourtant un élément constitutif essentiel de la fierté du travail dans l’entreprise. La différence entre rôles et statuts est ainsi déterminante. Etre manager, c’est d’abord une fonction et non un rang, un rôle plutôt qu’un statut, contrairement aux discours habituels.

D’aucuns considèrent que devenir manager ne se refuse pas et tous ceux qui ont fait de bonnes études s’attendent à devenir dirigeants. Encore faut-il se demander si l’on a cette appétence. De très belles carrières peuvent être menées par l’implication dans des fonctions d’expertise, plutôt que de rechercher une sorte de Graal à travers des fonctions de management. Le rôle du collectif est alors essentiel. Cessons de considérer que l’autorégulation permettra de régler tous les problèmes de management. On ne peut faire travailler ensemble des équipes si l’on ne dispose pas de managers de proximité engagés dans le développement de leur entreprise.

Je ne suis pas toujours d’accord avec le renvoi du manager vers l’autonomie d’action que la CFDT Cadres propose. Lorsqu’un salarié est promu manager, cette décision découle le plus souvent du constat de la compétence et de l’autonomie de cette personne dans la partie technique de son métier. Cette légitimité technique est bien sûr essentielle, mais elle n’est pas suffisante dans ce nouveau rôle, plus complexe, plus incertain. Il faut aider le manager à acquérir une véritable compétence dans ce nouveau domaine pour lui qu’est le management. Or, dans de nombreuses organisations, on ne reconnaît guère à ce nouveau manager un niveau d’autonomie suffisant. Il se retrouve donc dans une situation inconfortable : tout en ayant confiance en lui, l’entreprise continuera de le guider par des « prothèses » à travers divers outils et processus qu’il mettra en œuvre sans en trouver vraiment le sens dans l’action. Un manager - comme un syndicaliste d’ailleurs - qui n’est pas cru est cuit. La confiance est donc essentielle. Créer la confiance, c’est savoir dire « non ». La CFDT Cadres donne la parole à ceux qui font vivre le management. Rares sont les lieux où les managers eux-mêmes peuvent évoquer leur situation. Réfléchissons également au management du « non-salarié » ou de l’entreprise prestataire.

Un autre point, qui est sans doute le plus compliqué aujourd’hui, me paraît la dimension intergénérationnelle. Un jeune à qui je demandais un jour, dans une usine, ce que représentait pour lui son manager, me répondait : « ce n’est ni mon père ni mon prof. », ce qui peut nous inviter à réfléchir. Comment le manager peut-il aussi recréer un lien fort avec des seniors qui ont connu l’entreprise à une époque antérieure et qui sont peut-être moins à leur aise dans les nouvelles formes qui lui sont données ? Enfin, comment le management parvient-il à prendre en compte toutes les nouvelles formes d’activité, à commencer par le télétravail ?

Les entreprises gagnent à favoriser un mode de management attentif au développement professionnel de chacun, à former les managers ainsi sensibilisés à la gestion des équipes dans toute leur diversité professionnelle. Le lâcher-prise est très difficile. Pour faire face à l’incertitude, il existe deux réponses, qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre : les processus et la culture. Je crois plus à celle-ci qu’au processus. L’enjeu consiste à créer une culture permettant de faire passer les messages, ce qui réduit la nécessité d’un processus fort. La promotion d’une culture participative et gratifiante passe par une confiance et des moyens accordés aux rôles managériaux. L’exigence doit être aussi élevée que la bienveillance. Elles se nourrissent l’un de l’autre, pour une meilleure performance des entreprises et un véritable développement professionnel des salariés.

1 : Ed. de l’Atelier, 2015.