La réforme des retraites entre en application et il est clair aujourd’hui que les conditions de sa réussite passe par l’élévation du niveau d’emploi de la population active, et particulièrement de la tranche d’âge des 50 / 60 ans : ceux que l’on appelle « quinquas », « seniors » ou autres qualificatifs en général plus ou moins positifs selon qu’on les considère comme salariés ou comme consommateurs. La France fait dans ce domaine figure de très mauvais élève puisque nous avons le taux d’activité le plus bas, de l’ordre de 33% pour les 55 / 64 ans, ce qui est très loin de l’objectif de 50% fixé à Lisbonne. Le vieillissement de la population, progrès humain et scientifique, s’est transformé en problème social !

Or, la qualité de la vie professionnelle durant cette période de fin de carrière a un rôle déterminant sur la transition vie professionnelle – retraite et sur la reconstruction identitaire du nouveau retraité ensuite et sa place dans la société.

Peu de travaux scientifiques se sont intéressés à cette question, pourtant centrale dans le projet de société de notre Europe vieillissante.

A l’initiative de Dominique Thierry, fondateur de l’association Développement et Emploi, s’est constitué un groupe de recherche associant des spécialistes de la gestion des ressources humaines, de la formation, des praticiens et des chercheurs. La présence de personnalités d’origines différentes permettra de croiser les approches sociologique, psychologique et clinique.

La CFDT Cadres constate quotidiennement la difficulté des quinquas, et particulièrement des cadres, à trouver leur place dans l’entreprise. Elle a donc souhaité s’associer à ce travail pour approfondir son analyse sur les comportements des managers face à ces travailleurs « âgés » et définir des leviers d’intervention syndicale pour améliorer les fins de carrière professionnelle et faciliter ainsi la transition vers une retraite réussie.

Ce travail s’est appuyé sur la réalisation d’entretiens. Environ 75 hommes et femmes ont déjà été interrogés, quelques années avant qu’ils quittent l’entreprise, au moment du départ ou après quelques années de retraite. Nos premiers travaux permettent de dessiner des tendances.

Dans l’entreprise aujourd’hui, la carrière des cadres se déroule essentiellement entre 30 et 45 ans. Au-delà de cette tranche d’âge, une offre de formation moindre, moins de propositions de mobilité, un entretien professionnel moins formel, voire autour d’une table de restaurant... sont autant d’indices discrets qui instillent chez les cadres le sentiment qu’ils abordent la fin de leur carrière professionnelle.

Même s’ils ont la possibilité de la terminer dans l’entreprise, ces années sont souvent marquées par les frustrations, les ressentiments éventuellement contre les jeunes loups qui ont le vent en poupe. Le départ à la retraite, s’il est alors souhaité et vécu comme un soulagement, laisse une impression profonde d’insatisfaction. C’est particulièrement marqué chez ceux qui ne sont pas remplacés, ceux dont personne ne poursuivra la tâche. La possibilité de transmettre son savoir, d’expliquer à un plus jeune son expérience et ses compétences, représente une reconnaissance qui contribue à positiver cette transition vers la retraite. Quand cela ne se fait pas, il est souvent plus difficile de se reconstruire une identité.

Plus douloureuse encore est la position des salariés dont le départ est brusquement décidé contre leur gré, dans le cadre d’un plan social ou d’une restructuration de leur entreprise. Outre la perte brutale de leur occupation quotidienne, des liens structurants avec les collègues, outre le sentiment d’inutilité sociale, ils se retrouvent dans une position sociale inconfortable, ni retraités, ni véritables chômeurs, ni inactifs. Comment, dans cette situation, imaginer une transition vers la vie de retraité qui permette de se reconstruire une identité et de s’épanouir dans cette nouvelle vie?

Il semble également que les cadres particulièrement investis dans leur travail et qui souvent n’ont pas le temps et la disponibilité d’entretenir d’autres liens en dehors de leur sphère professionnelle, ont des difficultés à assumer sereinement la transition vers le statut de retraité. Leur attachement à l’entreprise est important et le sentiment d’appartenir à un collectif valorisant, à travers la gestion d’équipes par exemple, rend plus difficile encore l’adaptation à une situation matérielle soudain réduite à la maison familiale : plus de secrétaire, plus de ligne téléphonique particulière, etc.

A contrario, les salariés qui ont eu la possibilité d’être maîtres de leur fin de carrière professionnelle, en choisissant eux-même un changement de poste, une mutation, préférant par exemple sciemment un travail d’expertise à une responsabilité de management d’équipe, se préparent alors plus facilement à une transition vers la retraite où souvent ils vont poursuivre avec un moindre investissement ce travail d’expertise au profit d’associations ou dans le cadre d’autres engagements.

Le groupe de recherche avait formulé l’hypothèse selon laquelle la transition se vivait différemment pour les hommes et pour les femmes, ces dernières ayant souvent déjà depuis longtemps construit une identité multipolaire (familiale ou extra-professionnelle). Nos premiers entretiens ne nous permettent pas à ce jour de confirmer cette hypothèse. Cependant on peut imaginer qu’une gestion différente des temps sociaux tout au long de la carrière, un meilleur équilibre entre vie professionnelle, vie privée et vie sociale, conduira à des modèles de vie de salariés autres de ceux que nous connaissons actuellement.

Cet équilibre différent devrait permettre d’aborder le temps de la retraite de façon plus harmonieuse.

Il apparaît donc clairement que les dernières années dans le monde du travail marquent profondément la façon dont va se vivre la transition vers la nouvelle position sociale de retraité. Si majoritairement les hommes et les femmes se reconstruisent plus ou moins rapidement une nouvelle identité, nous connaissons aussi tous des nouveaux retraités pour lesquels la maladie, voire la mort interviennent dès la rupture avec leur ancienne entreprise.

L’objectif du groupe est de pointer les responsabilités sociales collectives dans cette phase de la vie dont les contours ont été modifiés par l’évolution du mode de production et de la démographie. Les décideurs économiques et politiques doivent assumer leurs responsabilités. Les entreprises doivent cesser de considérer la gestion des fins de carrière comme un levier de gestion de leurs effectifs dont elles externalisent le coût vers la société. Les décideurs politiques doivent impulser des politiques actives d’emploi des seniors. La Finlande a su le faire efficacement depuis quelques années.

Les partenaires sociaux doivent progressivement faire avancer l’idée de coresponsabilité de l’entreprise et du salarié dans les choix professionnels faits dans les années qui précèdent la retraite. On peut imaginer une gestion différente mais valorisante de la fin de carrière, une mobilité horizontale par exemple, un accompagnement au départ en retraite, des formations à cette transition mais aussi une véritable promotion de l’expertise des seniors qui permettent de revaloriser leur image dans l’entreprise. Les CE et CHSCT peuvent en particulier jouer un rôle incitatif s’ils prennent conscience des enjeux pour les salariés et pour l’entreprise.

Les entreprises donneront ainsi une image valorisée de leur gestion des ressources humaines, aussi bien en interne et en externe, si elles savent permettre à leurs salariés en fin de carrière de continuer à s’investir de façon positive dans leur travail. La société a tout à gagner à permettre à une nouvelle génération de jeunes retraités en bonne santé de prendre toute leur place dans le corps social.

C’est l’un des enjeux des années à venir pour les partenaires sociaux. La CFDT Cadres y prendra toute sa place.