Avec la CFDT, avec les organisations syndicales d’Europe, avec la CES et EUROCADRES, nous nous sommes mobilisés pour la ratification du traité constitutionnel. Pour nous, cette constitution était et reste encore aujourd’hui le meilleur texte, le meilleur compromis à 25 que l’Europe ait jamais eu. Ces dispositions établissent les règles du jeu permettant l’avènement de l’Europe politique capable de rééquilibrer l’Europe économique que nous connaissons aujourd’hui.

Le processus de ratification a déjà abouti positivement dans 13 pays représentant plus de la moitié de la population de l’Union. Il doit se poursuive dans les autres pays.

Le score du référendum nous interroge : ce non est d’abord un non à l’Europe. C’est le non Bleu-blanc-rouge des souverainistes et populistes de tout crin, celui des murailles économiques du « Produisons français, achetons français », celui de la peur et des incertitudes, un non aux relents xénophobes... Bien loin d’un « internationalisme triomphant » la France est toujours atteinte du syndrome de la ligne Maginot, ligne qui sera toujours contournée !

Mais c’est aussi un non à la politique menée en France depuis 2002, un refus de la précarité, l’expression d’un avenir interdit et impossible pour bien des électeurs, certains partisans du non s’attachant dans le même temps à défendre leur sentiment pro-européen. La fracture s’opère nettement entre ceux qui sont en capacité de se projeter dans l’avenir et ceux qui ne le peuvent pas, entre ceux qui se vivent « en sécurité » et ceux qui, comme certains agents publics, se sentent remis en cause dans leur emploi et leur mode de vie. C’est également le non des plus précaires et des plus démunis, qui vivent quotidiennement la pauvreté et l’angoisse du lendemain.

Pour eux, l’avenir est d’abord l’inconnu, le futur encore plus difficile et incertain. Comment s’étonner alors de ce résultat ? La fracture sociale est réelle. Jacques Chrac l’avait mise en avant il y a dix ans mais, sourd aux faits et aux coups de semonce électoraux, il l’a tout de suite reléguée au placard des ustensiles de campagne.

A côté du manque de courage politique et du déficit d’explication, la politique têtue menée depuis trois ans en France, l’enfermement du Président de la République dans un colloque singulier avec un Premier ministre déconsidéré ont été déterminants. Quelles réponses crédibles à la précarité et à la pauvreté croissantes, à la baisse du pouvoir d’achat ? Quelles réponses pour les 25% de jeunes actifs au chômage, quelles réponses aux seniors et aux chômeurs de longue durée ? Quelles réponses à une économie qui décroche, à une croissance inexistante ? La politique de l’autruche rivalise avec celle de Gribouille !

Le gouvernement Villepin devra apporter ces réponses. Il devra le faire avec les partenaires sociaux, patronat et organisations syndicales, pour soutenir le développement économique et l’emploi, assurer une meilleure répartition des richesses pour améliorer le pouvoir d’achat de chacun, développer les conditions d’une réelle sécurisation des parcours professionnels. Au vu des premières déclarations et des mesures envisagées, on est loin du compte ! Et pire, en choisissant de légiférer par ordonnance, le gouvernement Villepin nie le dialogue social et donne un second coup de couteau à la loi Fillon sur le dialogue social votée en mai 2004.

Il est clair que la France doit relancer son économie, tant en terme de croissance que d’emplois, mais il est clair aussi que cette politique de relance ne peut être franco-française. Elle doit s’inscrire d’emblée dans l’Europe, dans une stratégie européenne ambitieuse pour la croissance et pour l’emploi, loin des atermoiements de la mise en œuvre de la Stratégie de Lisbonne.

Là est bien le paradoxe du vote de dimanche dernier : l’Europe n’est pas le problème, l’Europe est la solution. Et le moins que l’on puisse dire, la France n’est pas en position pour défendre une telle politique et préfère s’arc-bouter sur une défense égoïste de la politique agricole commune et le maintien d’un budget européen a minima.

Au regard des analyses que nous pouvons commencer à poser, nous devons interroger ce que certains qualifient de « modèle social français », qu’ils veulent le conserver en l’état, ou, à l’inverse, le dynamiter. Ayons le courage de reconnaître que ce prétendu modèle français est en crise, avec plus de 10% de chômeurs et des taux de prélèvements et d’endettement publics qui ne permettent plus de dégager les marges de manœuvre suffisantes.

Depuis de nombreuses années, les réformes nécessaires n’ont jamais été assumées, anticipées ; elles sont concédées, sous la contrainte, du bout des lèvres. Le manque de pédagogie sur les réformes indispensables, le manque de prise de responsabilité des politiques ont également joué contre l’Europe, trop souvent présentée comme la fauteuse de troubles. « C’est à cause de Bruxelles » entend-on trop souvent !

Paradoxalement, le rejet du traité constitutionnel est d’abord le rejet d’une Europe plus sociale. Après avoir décrié la partie III, son « libéralisme » exacerbé, les partisans du « non » nous ont reconduits à la case départ, aux traités de Nice, de Maastricht et de Rome. En d’autres termes, la partie III amputée de ses innovations les plus intéressantes, et notamment la clause sociale horizontale… Quant à la Charte des droits fondamentaux, là aussi on revient à Nice, avec un texte déclaratif non opposable juridiquement !

La période qui s’ouvre à présent est lourde d’incertitudes, de renoncements et de déconvenues. Raison de plus pour affirmer une CFDT solide, campée sur ses valeurs d’émancipation, de solidarité et de démocratie, une CFDT qui met en œuvre deux démarches identitaires : une démarche réformiste et une démarche européenne.

Avec notre démarche réformiste, nous faisons le choix de transformer la société en nous appuyant sur un diagnostic précis et une critique sociale forte. Nous choisissons un syndicalisme de proposition, de négociation et de recherche de résultat, en acceptant la part de risques que comporte le compromis. Nous construisons le rapport de force, par le conflit si nécessaire.

Depuis toujours, nous avons aussi fait le choix d’une démarche européenne, parce que l’Europe a construit un espace de paix et d’intégration des peuples, qu’elle a permis la réunion des pays d’Europe dans une communauté de destin, parce qu’elle est un bon niveau de régulations économiques et sociales. La motion d’actualité du 12e congrès de la CFDT Cadres, votée à 96,71% des mandats, affiche notre détermination.

Nous devons à présent nous interroger sur les moyens de relancer ces deux démarches, qui sont pour nous les seules gagnantes, les seules possibles pour répondre à la crise de notre modèle social et à la crise de la démocratie.

Quel pôle réformiste profondément européen pouvons-nous aider à construire en France ? Comment développer ce pôle réformiste au-delà du mouvement syndical, avec le monde politique et l’associatif ?

En posant clairement la question des alliances et des coopérations à nouer, dans le cadre de notre autonomie de réflexion et d’action, avons-nous la volonté de construire ce pôle, solidement ancré en Europe ? C’est clairement le choix de la CFDT Cadres. Nous voulons le partager avec le plus grand nombre.

Poursuivons le combat

Les positions contradictoires des partisans du non : ouvertement xénophobes du non de droite, souverainistes de droite comme de gauche, Europe plus sociale du non de gauche, Europe plus libérale du non de droite, ne permettent pas de trouver dans l’expression du non, une force alternative pour l’Europe.

Ce résultat traduit la forte inquiétude face à l’avenir, l’angoisse du chômage et de la précarité, dans un contexte d’insécurité sociale, de refus de prise en compte des attentes sociales et de crise de confiance en la démocratie représentative. Les responsables politiques, gouvernants comme opposants, des partis de gouvernement et les syndicats n’ont pas réussi à mobiliser sur des enjeux qui dépassent le clivage gauche/droite.

L’Europe a été sacrifiée aux problèmes nationaux : Bruxelles a été présenté comme le bouc émissaire des choix que les gouvernements français effectuaient sans oser les assumer. Le déficit d’information sur l’Europe, depuis nombre d’années, a permis le développement d’arguments mensongers et démagogiques.

Les conséquences de ce vote sont graves pour notre pays et pour l’Europe. Ce vote affaiblit la construction européenne et favorise avant tout les thèses de ceux qui veulent limiter l’Europe à un simple espace de libre échange commercial.

La CFDT Cadres, réunie en congrès, poursuivra le combat pour une Europe démocratique, espace de paix, de développement économique et social, aux côtés des affiliés d’EUROCADRES et de la Confédération Européenne des syndicats.

Le vote français ne doit pas retarder le processus de construction européenne, progrès dans de nombreux domaines politiques et sociaux, qui apporte des améliorations démocratiques pour une Europe à 25 et bientôt plus. Le processus de ratification a déjà abouti positivement dans 10 pays représentant environ la moitié de la population de l’Union, le respect de la démocratie impose qu’il se poursuive dans les autres pays. A la fin de ce processus, il reviendra à la France de décider comment elle peut ne pas s’exclure de l’Union Européenne et retrouver une place active pour le nécessaire renforcement de celle-ci.

Deux cadres sur trois ont voté oui. Le Congrès appelle les adhérents cadres, avec la CFDT, à poursuivre les efforts d’information dans tous les domaines de la construction européenne.

La CFDT Cadres amplifiera son action réformiste et son engagement en faveur d’une Europe politique, sociale et solidaire, et pour défendre la démocratie.

Nantes, le 3 juin 2005