Les ouvrages sur le travail et les profonds changements qui l’affectent sont légion, à la limite de l’overdose. D’autant que nombre d’entre eux se bornent à ressasser à l’infini les mêmes constats.

Ce n’est pas le cas de ce livre très ambitieux dont la visée est de saisir les déterminants et les ressorts des stratégies résolues et concertées d’évolution du travail. Pari tenu avec un brio qui le doit à la qualité de deux auteurs très avertis, en qualité d’analystes et d’acteurs, de tout ce qui touche aux conditions du travail entendues dans une acception large.

Une double qualité qui imprime d’ailleurs sa marque à un propos en va-et-vient entre théorie et analyse de terrain. D’où l’abondance d’informations précieuses, d’analyses fines et de mise en perspective des problèmes.

Trois parties, trois questions : en quoi et pourquoi le changement du travail ? L’intervention de changement concerté : comment ? Sur quels objets ? Dans les trois cas, on est frappé, dès l’abord, par le parti pris de globalité dans l’approche de la réalité étudiée.

Il saute aux yeux dans la première partie consacrée à la mutation du travail envisagée dans sa plus grande envergure : modification de l’environnement économique (capitalisme actionnarial, mondialisation, économie de la variété…) et socio-culturel (société du risque, individualisation…) ; diversification des formes d’entreprise (certes encore intégrée mais de plus en plus en réseau) et des modes de travail (glissement de sa définition par le poste à celle par le projet). Derrière chacun de ces points analysés avec rigueur et bien illustrés, se profile la problématique chère au préfacier Jean Gandois, celle de la « performance globale », point de condensation d’une pensée complexe de l’entreprise comme entrelacs de logiques variées, souvent antagonistes, vouées, par la force des choses, à composer ensemble, à se supporter et se conforter mutuellement comme des frères ennemis. Ce qui suppose de dépasser l’unilatéralisme des approches traditionnelles pour une pensée de la tension entre des exigences contradictoires auxquelles l’entreprise comme espace de relative intégration offre un cadre de possible coexistence. Et les auteurs font le pari d’un possible enrichissement des critères d’appréciation de la performance sous l’horizon de la responsabilité sociale de l’entreprise. Le grand mérite de cette approche est de ne pas se payer de mots, à la différence de tant d’ouvrages ignorant la question de la place et du rôle du conflit dans le changement.

C’est d’ailleurs ce qui explique son insistance sur la dimension de concertation comme condition de positivation de l’énergétique de la confrontation. De substantiels développements sont consacrés aux formes d’association des salariés et de leurs représentants à une stratégie dont elles constituent l’une des conditions les plus élémentaires de succès. Les auteurs insistent à juste titre sur l’indispensable lien de confiance entre toutes les parties en présence. La pluralité en est le meilleur gage de pertinence. Une pluralité qui prend aussi la forme d’une combinaison des regards en vue d’un croisement des savoirs dans une pratique transdisciplinaire « au service de tous les acteurs ». De pages très éclairantes sont consacrées à cette exigence polyphonique.

Mais à quoi bon tout cela ? L’objectif est bien sûr d’amélioration conjointe de l’efficacité économique et du bien-être des salariés. Les auteurs prennent soin, dans la troisième partie, de l’énoncer dans toutes ses déclinaisons, chacune faisant l’objet d’un chapitre ou presque : le développement des compétences, la santé au travail, l’accompagnement de projets d’investissement, les mutations de l’organisation au quotidien, sans oublier le maintien dans l’emploi par déploiement des vertus de la gestion prévisionnelle.

Un livre riche, solide et tonique dont la lecture s’impose avant tout passage à l’action…