Dans l'aide publique au développement (A.P.D.) la part des crédits mis en œuvre en France par le ministère de la coopération diminue chaque année au profit d'autres organismes publics dont la direction du Trésor. Aujourd'hui, au ministère de la coopération, nous vivons la fin d'une époque .

Modifications administratives

Après 1981, on a bouleversé les structures ministérielles. Le ministère de la coopération est devenu un ministère délégué du ministère des relations extérieures, avec compétence sur l'ensemble des pays. Ce fut une réorientation importante du dispositif de coopération.

En 1986, on est revenu à un ministère de plein exercice ayant compétence sur les pays du « champ ». A l'occasion on a inclus dans le champ de compétence du ministère en plus des anciennes colonies, quelques pays africains, anciennes colonies espagnoles ou portugaises. La coopération française avec tous les autres pays est revenue dans les services du quai d'Orsay.

A partir de 1995, on a commencé à travailler à une fusion entre « champ » et « hors champ », grossièrement, le schéma retenu était le suivant : le ministère des affaires étrangères assure la direction politique de la coopération, la mise en œuvre technique est davantage assurée par la Caisse Française de Développement.

Ce processus a été brusquement stoppé, sur décision du président de la République au cours d'un sommet franco-africain en 1996. Le maintien de ce statu quo ne peut durer éternellement. Cette situation instable est nuisible tant pour la définition d'une politique claire que pour les agents qui ne voient pas ce que peut être leur avenir.

Une décision politique dispersée

La décision politique est dispersée, tous les services veulent leur part d'« exotisme » et de pouvoir. La plus grande part de la coopération, pour l'aide budgétaire qui aide à l'équilibre du budget des Etats, par exemple, se fait au Trésor, en lien plus ou moins ténu avec les services du ministère de la coopération et en relation plus distendue avec ceux du ministère des affaires étrangères.

A la coopération, les budgets sont en baisse. Le nombre de postes diminue, on remet les fonctionnaires détachés à la disposition de leur administration d'origine, on ne renouvelle pas les contrats des agents contractuels. A la fin des contrats, certains contractuels, qui bénéficient de l'application de la loi Le Pors sont sans affectation. Tout cela, dans un climat de perte de compétence, donne une ambiance délétère qui n'est pas stimulante pour le travail et fait fuir les éléments les plus dynamiques.

Actuellement le ministère de la coopération souffre d'un manque de perspectives. Il s'éteint à petit feu. Ce faisant il consomme son capital. Les richesses accumulées, en matière d'hommes, de savoir-faire, de réseaux, sont délaissées ou reléguées. Progressivement on abandonne un patrimoine de connaissances qui mériterait d'être conservées. On ne sait plus guère, par exemple, qui fait la synthèse des recherches effectuées pour les pays équatoriaux et tropicaux en matière de production agricole, de sécurité alimentaire, de santé, de coopération industrielle, etc.

Le risque est grand que des organismes méconnaissent ce qui a déjà été fait. Il existe aussi un réel risque d'autonomisation des ministères et de leurs directions internationales qui agissent sans tenir compte d'une politique française de coopération qu'ils ne connaissent pas. Quand le ministère du travail, celui des finances par exemple envoient des missions, mettent directement en œuvre des programmes, ils ne répondent pas systématiquement aux priorités définies dans les accords de coopération. La mise en œuvre de l'aide publique du développement se disperse et ce n'est pas à coup sûr l'assurance du bon emploi des crédits.

Avec la coopération décentralisée, l'intérêt porté aux droits de l'homme et à la démocratie locale peut conforter l'action du ministère. Mais la coopération décentralisée peut aussi ignorer les accords de coopération et entraîner un risque de déperdition d'énergie et d'éparpillement des interventions. Le rôle fédérateur du ministère est en train de disparaître.

- La centralisation ne risque-t-elle pas d'empêcher les initiatives locales ?

Je ne regrette pas le centralisme jacobin pour toute prise de décision... mais il y a des domaines dans lesquels on sait quelles sont les erreurs à ne pas commettre en matière d'aide au développement ou d'aide humanitaire : par exemple, envoyer des vêtements et des couvertures pour secourir des populations d'un pays équatorial, même si le climat local montre que ce n'est pas nécessaire.

Le milieu de l'aide au développement, comme celui de l'aide humanitaire est peuplé de personnes de bonne volonté qui veulent faire quelque chose par elles-mêmes, qui sont prêtes parfois à envoyer sous les tropiques des jeunes inexpérimentés. Demander aux pays en développement de finir l'éducation de nos jeunes, est-ce de l'aide même s'il y a réciprocité dans ces cas là ?

Tout envoi nécessite des frais de transport, des procédures de douane, qui ne peuvent être évités. Les droits de douane font vivre les Etats. Leur mise en œuvre peut être en soi acte de coopération et de développement. Il est important que les acteurs qui se mobilisent le sachent.

On peut très souvent trouver sur place des personnes, des sociétés, des institutions locales qui peuvent être un relais. Il peut aussi être important de les créer pour l'après-coopération. Dans le cadre de la coopération institutionnelle c'est le système des projets et des homologues, employés du projet de développement, appelés à le prendre en charge après le départ du coopérant. Le coopérant fait un passage dans le pays, que reste-t-il après son départ ?

La nécessité d'une coordination

La reconversion du ministère de la coopération devrait sans doute prendre en charge un travail plus important qu'il ne l'est actuellement, dans la formation des élus, la coordination des actions des ONG, des collectivités locales.

Pour tous ces acteurs de la coopération, le ministère n'est considéré souvent que le moyen de financer des actions qu'ils veulent conduire. Il faut un minimum de cohérence dans l'intervention française et c'est le ministère qui devrait l'apporter.

- Quand la France assure le budget de l'Etat, il peut aussi y avoir du gâchis ?

La question concerne, je suppose, la corruption qui peut se développer avec de l'argent public. On a beaucoup parlé de la corruption qui existe dans les pays que l'on aide, mais on semble s'apercevoir depuis peu de temps seulement que la corruption existe aussi chez nous alors qu'elle est là présente au quotidien depuis très longtemps.

La corruption n'est acceptable nulle part. Est-elle plus importante en Afrique qu'ailleurs ? Elle est sans doute plus concentrée sur quelques agents et donc plus visible.

Le véritable problème est celui des rapports que la France a créé avec les gouvernements et les régimes qu'elle a contribué à installer et qu'elle a ensuite soutenus par l'aide au développement. La France n'a pas assez conditionné son aide à des pratiques démocratiques, à des procédures de versement donnant des garanties de transparence. Il doit bien exister des moyens de respecter l'intégrité d'un Etat souverain et de l'aider dans son développement sans permettre la corruption.

Le tournant de La Baule

La politique de la France a fortement été réorientée au sommet de La Baule où l'aide française a été annoncée comme conditionnée à un retour à des pratiques démocratiques. La réorientation a pour objectif de faire évoluer les Etats vers des Etats de droit. Des encouragements et des aides ont été fournies pour la mise en route de processus démocratiques comme les conférences nationales. Tout cela nécessite du temps. Il est plus facile de jouer la carte de la vie démocratique dans un pays où les intérêts économiques français sont faibles. Les changements que peut amener une Conférence nationale sont plus faciles à gérer pour ces intérêts que ceux apportés dans un pays où les intérêts des capitaux français sont importants et souvent très liés au pouvoir en place.

On a gardé dans les relations avec les élites africaines un paternalisme certain. On a peu tenté d'innover et on a aussi sans doute beaucoup laissé aller. En arrière-fond il y a les votes à l'ONU...

- La coopération entraîne-t-elle le développement ?

Pour répondre en chiffres à cette question, il faut faire un rapport entre l'aide versée, les populations concernées et le revenu brut par habitant et tout cela sur une longue période.

Le transfert de compétence est très lent. Le système de l'homologue local que le coopérant doit former pour qu'il soit apte à le remplacer en fin de contrat, a subi de nombreuses entorses avec des renouvellements de contrats.

Si on n'observe pas un changement remarquable dans les pays d'élection de la coopération française, il est une raison qui paraît jouer un rôle non négligeable. La coopération française est trop souvent mise en œuvre avec un encadrement totalement importé. Nous fournissons ce qu'il faut pour faire marcher le projet qui se met en place. Ce défaut est partagé par beaucoup de « donateurs », nous n'en avons malheureusement pas l'exclusivité. Lors d'une famine au Soudan, l'aide alimentaire américaine fut acheminée sur appels d'offres internationaux par des convois de gros camions achetés pour l'occasion par des transporteurs étrangers. A la fin de l'opération, il n'y avait plus de camions sur place et les petits commerçants avaient eu une année sans activité et sans ressources.

La nécessité des relais locaux

La baisse des crédits gérés par les ministères devrait permettre de devenir plus pragmatique. On devrait faire appel davantage aux ressources humaines du pays bénéficiaire. La difficulté dans laquelle on se trouve de maintenir des assistants techniques doit rendre inventif sur l'utilisation et la mise en œuvre des ressources humaines locales.

- Vous semblez critique vis-à-vis des ONG, que leur reprochez-vous ?

Le terme ONG n'est pas à lui seul une garantie d'efficacité et de résultat. C'est très souvent la garantie d'une bonne volonté et de disponibilité et ce sont de bons atouts. C'est aussi souvent la garantie d'une simplification des procédures de mise en œuvre, des crédits sur le terrain et dans ces conditions un gage d'efficacité et peut être de moindre coût.

- Y a-t-il une coopération européenne ?

Il y a en tous cas des financements importants : une direction, des directives. Cette coopération concerne souvent de très gros projets. Beaucoup de crédits sont délégués à des ONG pour la mise en œuvre. L'éparpillement des ONG françaises ne les situe pas bien auprès de la Commission. Elles commencent à se regrouper pour agir auprès de la Commission. Là encore on est dans un domaine d'intervention récent.

- Coopération et commerce international sont-ils opposés ?

L'objectif de la coopération c'est de donner aux Etats une viabilité économique après qu'ils aient obtenu une reconnaissance juridique de leur existence. Ceci suppose une recherche permanente entre la production intérieure, la satisfaction des besoins, l'exportation et l'importation. La coopération doit contribuer à la réalisation de cette viabilité.

La vie économique d'un Etat ne se limite pas à la coopération et à ses effets.

La politique de coopération française n'a pas toujours clairement affiché les liens qu'elle pouvait entretenir avec les entreprises françaises installées dans les pays ou qu'elle contribuait à installer par ses marchés. Cette discrétion peut être une source de corruption si on veut garder des relations dans le secret ou sans mise en concurrence.

De nombreuses sociétés filiales locales d'entreprises françaises existent. La coopération n'a pas souvent grand chose à voir avec elles. Le financement des grands équipements structurels (réseau d'adduction d'eau, production d'électricité, l'entretien de voies ferrées ou du réseau routier) se fait par des crédits à long terme ou des dons. Cela ne concerne pas ce qui est convenu d'appeler le commerce international mais entre dans des financements internationaux parfois très importants.