Et si la croissance ne revenait pas ? C’est en ces mots que commence l’analyse de Patrick Artus et Marie-Paul Virard. Cassandre ou réalistes ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que les deux économistes ont largement détaillé et étayé leur thèse au travers de nombreux documents, tableaux et autres chiffrages. Les auteurs soulignent la difficulté de mesurer l’amélioration de la qualité ou de la productivité au travers de services non marchands. Comment valoriser la mise en relation des voyageurs par Bla-Bla Car ? Avec les critères actuels basés sur la délivrance d’un service marchand, on ne mesure pas ou pas bien l’apport de ces nouveaux services. Dans un contexte où le non-marchand va avoir tendance à se développer, la question est d’une importance fondamentale. Nous ne savons pas encore nous servir du numérique. Quitte à passer pour être à contre-courant, les auteurs estiment qu’Internet n’est pas une innovation majeure à l’instar du moteur à explosion ou de l’électricité. Nous avons une quantité d’usage à développer ou à créer.

Autre constat, la perte d’efficacité de l’intensité capitalistique. La France a un problème de qualification de sa main-d’œuvre. Non seulement nous sommes en chute libre dans le classement Pisa (qui mesure des performances des systèmes éducatifs dans l’OCDE), mais nous n’avons pas de bons résultats en matière de formation professionnelle. Les auteurs poussent l’analyse en attribuant la forte productivité apparente de l’économie française à un taux de chômage important des salariés sous-qualifiés. Dans les secteurs matures de l’économie (automobile, pharmacie, métallurgie, notamment), les budgets de recherche et développement (R & D) sont dix fois plus élevés qu’avant mais, pour autant, le résultat n’est pas au rendez-vous. Le constat d’un rapport efficacité - coût de la R & D en chute libre dans la vieille économie est patent.

A ces constats s’ajoutent deux spécificités françaises : un sous-investissement important dans les entreprises et le fait d’avoir depuis trente ans détruit des emplois intermédiaires au profit d’emplois très qualifiés et non qualifiés. La conclusion est que la croissance ne reviendra pas et que le spectre de la stagnation séculaire prend peu à peu corps. La conséquence est la baisse généralisée du niveau de vie avec ses conséquences en matière de revenus, de redistribution et de financement des progrès de la santé ou de l’espérance de vie. Dans une économie dopée à la croissance à l’ancienne, c’est désormais la rareté des revenus qu’il va falloir gérer sans penser au paradis perdu des Trente Glorieuses.