Le mot « compétences » est difficile à manier. Il s’agit à la fois de l’ensemble des savoir-faire et des savoir-être d’un individu et de ce que l’entreprise attend de lui. Les compétences se rattachent à la personne, par opposition au poste et à la qualification, mais elles s’apprécient en situation de travail. Elles doivent être transférables et reconnues au-delà de l’entreprise, mais ni le curriculum vitae, ni le contrat de travail ne suffisent à les définir. La reconnaissance par les pairs ou par la hiérarchie ne vaut pas moins que les certifications. Les compétences engagent ainsi la personne en tant que professionnelle dans et au-delà de l’emploi.

Monter en compétences, c’est monter en « professionnalité » : se couler dans une profession, s’adapter à un cadre d’emploi, faire avec la prescription tout en y mettant sa patte... La formation initiale demeure déterminante : « quel diplôme avez-vous à la base ? » entendons-nous toute notre vie. L’activité, également, est formatrice : il y a des entreprises où l’on apprend tous les jours, voire qui développent des parcours de professionnalisation. Et il y a également le manager de proximité qui a un rôle-clé auprès des autres salariés pour développer leurs compétences : manager, n’est-ce pas faire émerger les savoir-faire ?

La formation professionnalisante a elle fait de grands pas depuis un demi-siècle en France, luttant à armes très inégales avec le culte du diplôme initial. Les cadres se distinguent en tant que salariés ayant bénéficié de formations générales qui ne préparent pas à un seul métier mais attestent de l’aptitude à une gamme d’emplois. Gestion, ingénierie, droit, management… Grâce à leur formation supérieure, ils importent dans l’entreprise des savoirs stabilisés. En matière de formation continue, ils sont plutôt favorisés, du moins ceux qui travaillent dans un grand groupe.

Il reste donc beaucoup à faire pour permettre à tous de se former tout au long d’une vie active qui ne cesse de s’étendre : invasion des formations comportementales qui font le nid de dérives sectaires, polarisation de l’offre entre formations difficiles à caser dans sa vie personnelle ou trop courtes auprès desquelles on n’apprend si peu, diminution du temps consacré à la formation par salarié (certes au profit du nombre en bénéficiant), complexité du système de gestion que dénoncent tous les rapports publics... La réforme en cours entend répondre à ces dérives. Elle promet une étape déterminante dans l’affirmation d’un droit à monter en compétences professionnelles : meilleure régulation de l’offre, crédit d’heures individuel, entretien professionnel, structures d’appui, accès pour les demandeurs d’emploi… La réforme peut marquer l’histoire sociale ou se faire oublier selon les moyens et la volonté qu’on lui accordera. Ce n’est pas seulement un principe d’égalité des chances. C’est surtout un levier de croissance.

Le challenge est de taille. Il s’agit de pallier (en partie) aux défaillances de la formation initiale (un actif sur deux exerce une activité sans lien avec ses études). De faire face (un peu) aux ruptures de trajectoires, voire de soutenir la mobilité. De donner de l’air au salarié engoncé dans l’injonction paradoxale d’accroître sa performance sous autonomie fortement contrôlée.

Entre émancipation et employabilité, chacun de nous a besoin d’un passeport sur lequel sont inscrits son métier et ses certifications. L’enjeu est important pour les travailleurs intellectuels qui ont du mal à définir ce qu’est, au-delà du résultat sauvagement chiffré, la qualité du fruit de leur travail. On reconnaît les compétences d’un artisan à son œuvre. C’est plus difficile dans une société de services, de connaissances. Monter en professionnalité, c’est donc prendre un peu sa revanche sur la prescription du travail et de son évaluation. C’est se donner les moyens de s’affirmer face à la subordination et de monter en identité professionnelle.