Les cadres de la fonction publique sont-ils des cadres comme les autres ?

De réelles convergences apparaissent rapidement quand on étudie la question. Comme les autres cadres quand ils parlent de leur travail, les cadres de la fonction publique évoquent les difficultés du quotidien, la gestion par les indicateurs, le “reporting” et les logiques financières chaque année accrues. C’est peut-être un des effets du Nouveau Management Public, instauré en France au début des années 80, mais surtout de l’idéologie, brutale et récente, qui cherche à imposer sans préparation des logiques de management issues du privé, dans des buts quasi exclusifs de rentabilité (on pense ici notamment aux effets de la Révision Générale des Politiques Publiques auxquels les cadres de la fonction publique sont de plus en plus opposés).

Et pourtant, peu à peu, de vraies différences se font jour. Tout au long des articles et des entretiens, la question de l’engagement au service de la population, d’un besoin spécifique de reconnaissance par les usagers s’est écrite en filigrane. La fonction publique reste un monde à part, spécifique, qui se raconte avec un vocabulaire propre : les statuts multiples, les grades, les circuits hiérarchiques complexes et les sigles compliqués pour désigner des organisations.

Le dialogue social s’organise aussi de façon très différente. Jusqu’à présent pour ainsi dire, il était presque inexistant, ce qui pose de sérieux problèmes lorsqu’il s’agit de défendre tous ceux, fonctionnaires ou non, qui sont affectés par les réorganisations des ministères, comme nous l’explique François Chérèque dans l’article qui ouvre ce numéro. A cet égard, les élections d’octobre 2011, qui vont introduire pour la première fois une réelle logique de représentativité dans la fonction publique ouvrent la voie à une révolution culturelle.

Ces différences sont-elles structurelles ou finiront-elles par s’estomper ? Plusieurs articles de cette revue montrent qu’elles sont très ancrées : qu’il s’agisse des relations à la performance, du rôle de la hiérarchie et des modes de satisfaction des usagers (Céline Desmarais et Emmanuel Abord de Chatillon), des effets de la prime au mérite (Maya Bacache-Beauvallet) ou des méthodes de management et des injonctions contradictoires (Loïc Cadin et Jean Pralong), les conclusions sont spécifiques au service public.

La fonction publique apparaît finalement comme un monde bousculé, encore au milieu du gué.

Comme toutes les organisations, la fonction publique continuera d’évoluer. Mais si vous voulons garder une fonction publique de qualité, il faudra prendre vraiment en compte les spécificités de ce monde et ne pas chercher à singer le privé, comme ce fut trop souvent le cas ces dernières années.

La qualité de service aux usagers, la performance sociétale du service au public méritent mieux que cela. Espérons que les élections de l’automne permettront d’élaborer un mode de management où les cadres seront réellement associés aux décisions.

Ce numéro de la revue revêt par ailleurs un caractère spécial : toute la partie journal est remplacée par une analyse de l’enquête “la parole aux A” que la Cfdt Cadres, en collaboration avec la Cfdt fonction publique (Uffa CFDT), a conduite auprès de 7000 cadres de la fonction publique.

PS : En décembre 2010, le numéro 442 de notre revue, « Egalité, paternité, liberté », proposait d’étendre le congé de paternité à plusieurs semaines pour favoriser l’égalité professionnelle. Aujourd’hui, six mois plus tard, cette idée a parcouru un grand chemin. Après avoir été reprise à notre grand étonnement par le Medef (Laurence Parisot en février 2011), Brigitte Grésy vient de remettre au ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale un rapport qui propose d’instaurer un congé de paternité étendu. Cette idée, que nous avons aidée à faire émerger, deviendra peut-être l’objet d’une loi. C’est une grande satisfaction pour la CFDT Cadres.