Dans le numéro 445-446 Management, un terrain à reconstruire (septembre 2011), Olivier Favereau et Armand Hatchuel avaient évoqué, à la suite de leurs travaux menés au collège des Bernardins, la grande déformation subie par les entreprises depuis les années 80 : soumises à des contraintes financières extrêmes, les entreprises cotées ont poursuivi comme but ultime la rémunération des actionnaires, au détriment de l’emploi et même de la pérennité de l’entreprise. Cette déformation a eu des répercussions sur les pratiques managériales, favorisant l’invasion des indicateurs et rendant le travail des managers chaque jour plus difficile.

Pour remédier à cette situation, les chercheurs du collège des Bernardins pensent qu’un élément de solution se trouve dans l’étude et la réforme de la forme juridique de l’entreprise1. Les deux premiers articles du dossier reprennent cette thèse, en donnant la parole à deux auteurs qui ont participé à ces travaux. Le premier article propose une réflexion à l’échelle de la mondialisation. Si la grande entreprise, comme un Etat, devient un objet juridique à part entière, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, alors les droits fondamentaux des individus salariés seront respectés (Jean-Philippe Robé). Le deuxième article change d’échelle et propose une solution à la dimension de l’entreprise. Il présente une expérience californienne : les sociétés à « finalités flexibles » (flexible purpose corporations), qui ajoutent dans les statuts classiques de l’entreprise un autre objectif que celui du profit (Kevin Levillain). Dans les deux cas, ces solutions permettraient de mieux protéger les managers et les dirigeants responsables, sans créer de risques juridiques pour les investisseurs.

Le troisième article revient sur la cogestion allemande. C’est toute l’économie d’un pays européen, et pas des moindres, qui fonctionne en allant à l’encontre du principe capitaliste selon lequel seuls les propriétaires du capital peuvent prendre des décisions pour l’entreprise qu’ils possèdent (Fabien Hildwein).

Et pourtant, comme nous le rappelle Philippe Frémeaux en nous parlant de l’économie sociale et solidaire, la forme juridique ne détermine pas tant que cela les relations entre les managers et les autres salariés à l’intérieur de l’entreprise. La grande majorité des entreprises de cette économie fonctionne comme les autres, avec des managers qui prennent seuls les décisions et des dirigeants qui peuvent conduire leur organisation d’une main de fer. Comme le rappelle Xavier Leflaive à la fin du dossier, pour refonder l’entreprise et par là-même le management, c’est toute une réflexion de l’ensemble de la société sur la place que nous voulons donner aux entreprises qu’il faudrait engager. Trente ans après les lois Auroux qui instauraient le CHSCT, la négociation annuelle obligatoire et les compétences économiques des comités d’entreprise, il est vrai que les conditions d’exercice de la démocratie dans l’entreprise progressent difficilement.

La conclusion revient dans ce dossier à Jean-Paul Bouchet. Pour permettre aux managers de bien faire leur travail et de tenir leur rôle, ce qui est au cœur des préoccupations de la CFDT Cadres, il faut s’interroger sur la finalité de l’entreprise et l’engagement de l’ensemble des acteurs vers un but commun : la préservation de l’entreprise. Dans cette réflexion sur ce qui fait la cohésion de l’entreprise, le syndicalisme cadre, en étant une force de proposition et d’accompagnement, occupe une place cruciale.

1 : Blanche Segrestin, Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise. Le Seuil, février 2012. Voir la recension de ce livre dans le numéro 448 de notre revue Opportunités numériques (1), page 85.