L’enquête Générations dans l’entreprise, publiée en 2007, interroge la perception que les cadres ont de leur âge et, en fonction de cet âge, de leur place dans l’entreprise et de ce qu’ils ont à apporter ou au contraire à attendre de l’entreprise.

Qu’est-ce qu’un senior, par exemple ? Des différences de perceptions existent selon les âges, mais globalement la réponse se résume à l’idée qu’avant 40 ans on est jeune et qu’après 50 ans on est considéré comme âgé. Rien de nouveau sous le soleil, donc… sauf cette nuance : les cadres des tranches d’âges supérieures ont des idées beaucoup plus variables et dispersées sur ces questions que leurs collègues plus jeunes.

D’une façon générale les seniors ne se vivent pas comme tels : les quinquagénaires considèrent que ce n’est qu’à 55 ans que l’on devient un senior et que l’on bascule vers la préparation de la retraite. Avant cela, ils s’investissent autant que leurs cadets. Sans surprise, ils sont proportionnellement moins nombreux à changer d’entreprise : les plus jeunes considèrent en général que c’est un accélérateur de carrière tandis que les seniors appréhendent la difficulté d’être recrutés ailleurs.

Les marchés de l’emploi

Qu’en est-il des marchés de l’emploi ? L’enquête Formation continue et seniors en Europe a été menée en novembre 2008 dans huit pays d’Europe occidentale appartenant à l’Union Européenne : Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni. Elle permet de donner une idée de la moyenne, mais aussi de spécificités nationales qui tiennent à la fois aux spécialisations économiques, à la démographie et aux cultures managériales.

Dans ces huit pays, les 45 ans ou plus représentent en moyenne la moitié des effectifs cadres des entreprises privées. Ils sont particulièrement nombreux (6 cadres sur 10) dans les entreprises allemandes et italiennes ; un chiffre qui s’explique à la fois par le fait que ces deux pays soient caractérisés depuis plusieurs décennies par une faible croissance démographique et par voie de conséquence un vieillissement sensible de la population active (l’âge de la retraite vient d’être porté à 67 ans en Allemagne). En Italie, cela se double de problèmes d’accès à l’emploi des jeunes, y compris des jeunes diplômés.

En Allemagne, la part importante de l’industrie (qui occupe 33 % de la population active) contribue aussi à expliquer la part plus importante des cadres seniors : les entreprises industrielles capitalisent davantage sur l’expérience. Les cadres juniors sont davantage présents dans les entreprises de services, qui sont proportionnellement moins nombreuses en Allemagne.

À l’opposé de cette surreprésentation des seniors chez les cadres allemands et italiens, les entreprises de Belgique et du Luxembourg comptent moins de 40 % de cadres âgés de plus de 45 ans. Cela tient notamment, au Luxembourg, par le fort développement récent des marchés du travail dans les secteurs de la banque et des services financiers, qui ont attiré de nombreux jeunes cadres. En Belgique, les cadres seniors se trouvent plutôt dans les structures industrielles, les moins de 45 ans dans les services, où ils sont proportionnellement plus nombreux.

En France, à peine plus de quatre cadres sur 10 sont âgés de 45 ans et plus, trois cadres sur dix sont quinquagénaires : des chiffres inférieur à la moyenne européenne, et qui s’expliquent par plusieurs facteurs.

Le dynamisme démographique, mais aussi le faible taux d’emploi des seniors en général dans notre pays, et enfin les restructurations industrielles dont les préretraites furent jusqu’à une date récente l’un des instruments privilégiés ont contribué à construire une sous-représentation des seniors dans la pyramide des âges des entreprises française. Dans un contexte de pilotage par les coûts, et avec les garanties offertes par un système social relativement généreux, un certain nombre de stimulations ont pu concourir à la formation d’un consensus sur la sortie anticipée des seniors des organisations et du marché du travail.

Un des effets de ce consensus a été la faiblesse des investissements dans la formation des seniors. Certes, il n’est pas absurde de la part des entreprises de ne pas investir trop lourdement dans la formation de salariés qui les quitteront dans trois ou quatre ans ; prétendre le contraire serait naïf ou hypocrite. Mais c’est d’une façon particulièrement précoce que l’accès à la formation décroît. Dans un secteur comme la construction, pourtant dynamique en France sur la période considérée, notre pays détient ainsi le record du plus bas taux de formation des seniors.

L’enquête Chômage des cadres d’avril 2008 a été publiée avant la brutale remontée du chômage mais certaines de ses conclusions restent valables aujourd’hui. Elle fait apparaître que pour les cadres de 30 à 49 ans, la principale cause du chômage est le licenciement pour motif personnel, loin devant le licenciement économique. Parmi les cadres de 50 ans et plus qui sont sans emploi, 6 sur 10 le sont pour motif de licenciement, proportion identique à l’ensemble des cadres, tous âges confondus.

Les seniors ne sont pas plus souvent licenciés que leurs cadets, pour différentes raisons dont certaines sont juridiques (protection spécifique), d’autres économiques (le montant des indemnités augmente avec l’ancienneté), d’autres enfin tiennent au risque social encouru par une entreprise qui « virerait » ses salariés les plus âgés.

Lorsque les seniors perdent leur emploi, on sait en effet qu’ils ont plus de mal à en retrouver un, pour des raisons allant des préjugés aux attentes salariales. Baisse de rémunération et parfois renoncement au statut peuvent être le prix à payer pour être recruté, ce qui représente un sacrifice significatif dans une société structurée hiérarchiquement, en particulier pour des générations attachées au modèle de la carrière. Le taux de chômage des cadres seniors s’élevait ainsi en 2007 à 6,4 %, contre 1,6 % chez les moins de 30 ans et de 2,9 % chez les 30-49 ans.

Qui recrute, qui est recruté ?

Les recrutements ne sont pas inexistants, comme le montre l’enquête Recrutement de cadres de 50 ans et plus d’avril 2008. Entre 2000 et 2007, les seniors ont profité d’un contexte de bonne tenue du marché de l’emploi cadre et de tensions sur certains métiers ; entre 2001 et 2007, le nombre d’embauches de cadres de 50 ans et plus a quasiment doublé.

Certes, les volumes concernés restent modestes : 12 700 personnes, soit 6 % des recrutements. On notera que la plupart ont été recrutées en CDI. A noter que 94 % des cadres recrutés de 50 ans et plus le sont en CDI. Cette part atteint même 99 % dans la construction, où en 2007 on notait des besoins importants de cadres et des difficultés de recrutement et de fidélisation ; la tendance s’est inversée récemment mais la donne pourrait changer à nouveau. En 2007 toujours, le secteur de l’industrie est celui qui embauchait le moins en CDI mais la proportion restait tout de même de 90 %.

51 % des embauches ont lieu dans des structures de moins de 50 salariés, qui ont généralement plus de mal à recruter et peuvent apprécier des salariés expérimentés qu’elles n’auront pas à former. Seuls 9 % des recrutements ont lieu dans les structures de 500 salariés et plus.

Certains secteurs des services et de l’industrie recrutent davantage de seniors : dans les services, c’est le cas de la santé et de l’action sociale, des études techniques et de l’ingénierie, dans une moindre mesure de la banque. Dans l’industrie, le textile, la métallurgie, les secteurs du meuble, du papier-carton…

La principale fonction d’embauche est la fonction commerciale, où l’expérience peut être un plus. Certaines fonctions sont fermées, comme l’informatique. Et d’une façon générale sont recrutés ceux qui ont derrière eux une carrière dans la filière managériale, même sur des spécialités techniques : direction générale, finance-comptabilité, direction de chantiers et exploitation tertiaire.

Par rapport à 2001, les recrutements de cadres de plus de 50 ans effectués en 2007 se sont davantage concentrés dans les services et moins dans l’industrie et le commerce. Cette tendance est particulièrement notable dans les études techniques, l’ingénierie, la R & D, les autres études et le conseil, qui ont triplé leurs recrutements de cadres de 50 ans et plus : ils en recrutaient en 2007 autant que de cadres plus jeunes. Les premiers indicateurs suggèrent que cette tendance s’est inversée depuis 2008 et la remontée du chômage. Mais on peut en tirer une leçon : les discriminations subies par les seniors et les stéréotypes culturels auxquels on les associe en général sont structurants dans un contexte de chômage ; mais ils tendent à disparaître quand le marché du travail fonctionne mieux.

On peut donc tirer deux conclusions opposées de ces enquêtes.

La première serait d’optimiser et de fluidifier le fonctionnement du marché du travail de façon globale, ce qui profiterait à tous et donc aux seniors ; de simples formations permettraient d’adapter l’offre à la demande et de diminuer les frottements. C’est d’une certaine façon ce qui s’est joué depuis 2002 ; avec des réussites sur le plan statistique, mais aussi des trous dans le filet et surtout un fort retour des inégalités face à l’emploi quand le chômage est reparti à la hausse. Cette vision a ses limites mais il faut admettre qu’en contexte de bonne tenue du marché du travail, et en l’absence d’incitations négatives (préretraites, risque juridique), les cadres seniors ont toutes leurs chances.

La seconde conclusion serait de considérer que le marché du travail français est voué à mal fonctionner, à rester segmenté, et donc que des actions spécifiques méritent d’être entreprises pour les catégories les moins « recrutables » (pour reprendre la judicieuse distinction de Sophie Pochic entre l’employabilité, qui caractériserait le seul salarié, et la recrutabilité, qui parle aussi du recruteur).

Plus que des actions de communication destinées à lutter contre des stéréotypes dont nous avons vu qu’ils ne sont pas toujours aussi vifs qu’on aime à le croire, un système d’incitation peut alors être imaginé.

On a fait un grand pas en supprimant les préretraites et avec elles une forte incitation négative, qui a contribué à mettre hors course nombre de quinquagénaires dans les décennies passées.

Incitations positives

Parmi les incitations positives qui permettraient de stimuler l’emploi des seniors, il a été proposé de créer un avantage comparatif en réduisant le coût du travail des salariés âgés, par exemple en abaissant de 65 à 55 ans l’âge au-delà duquel l’entreprise et le salarié sont exonérés de la cotisation d’assurance-chômage ou bien en modulant de façon lissée le taux de cotisation afin d’éviter les effets de bord. On peut y réfléchir.

Mais on peut aussi considérer que cet effort pénalise l’Unedic, ou les finances publiques qui compenseront le manque à gagner de l’assurance-chômage. Si l’on s’engage dans une politique de subvention impliquant un effort de la collectivité, il n’est pas hors de propos de réfléchir à un partage de cet effort et de mener une réflexion sur les niveaux de rémunération. Il y a, en tout cas, de quoi débattre.

Une autre incitation pourrait porter sur l’effort de formation, en interne des entreprises, comme en externe dans les périodes de transition professionnelle.

Les études de l’Apec invitent aussi à pointer d’autres aspects de la question :

  • la faiblesse des collectifs de travail réellement intergénérationnels (seul 1 cadre sur 3 déclare être dans cette situation)
  • les conditions de la rupture du contrat de travail seraient un élément pesant fortement sur le retour à l’emploi (et pas seulement l’âge de survenue)
  • les différences d’engagement entre petites et grandes entreprises (les premières recrutent plus de seniors mais les forment moins)

Le paysage va encore changer sous l’effet conjoncturel de la situation de l’emploi et des mesures temporaires (les plans d’action bâclés) mais aussi sous l’effet de mesures plus structurelles (le report à 70 ans de la mise à la retraite d’office, les entretiens de carrière et l’entretien des compétences tout au long de la vie, l’accélération des ruptures technologiques, la sécurisation des parcours professionnels, la capacité des acteurs sociaux à négocier au plus près des situations…).

Dans l’époque incertaine que nous traversons, il est d’autant plus nécessaire de disposer à la fois de points de repères sur la réalité fine du marché de l’emploi et du non emploi des cadres dans et hors des entreprises, ainsi que d’analyses sur les évolutions des comportements des acteurs. L’Apec y a plus que jamais sa place sur le champ des données et de l’analyse comme sur celui du tiers acteur.