Jacques nous a quittés le 24 janvier 2017. D’une apparence austère, il était un homme chaleureux. L’élocution lente, liée aux difficultés d’exposition d’une pensée complexe, masquait en fait un esprit vif comme l’a rappelé Michel Noblecourt. Edmond Maire, dont il était l’un des amis les plus proches avec Marcel Gonin, le considérait comme « un vrai intellectuel syndicaliste ». Philosophe de formation, il était en fait politologue, formé à Sciences Po Grenoble et parmi les premiers attachés de recherches de la Fondation nationale des sciences politiques. Il y a bénéficié de l’apport de Georges Lavau, de sa rigueur et son sens de l’engagement. Celui-ci, connu pour son ouvrage marquant sur le PCF, a été un des créateurs de la science politique moderne. En sortant de l’approche purement juridique des faits politiques, il avait fait de la connaissance fine des grandes organisations syndicales et politiques, une de ses lignes directrices. C’est G.Lavau qui, en envoyant Jacques comme chercheur au congrès de la CFTC de 1963, en plein débat sur la déconfessionnalisation, le fera rencontrer des responsables de Reconstruction. Il sera quasi-immédiatement recruté par la FFSIC, ancêtre de l’UCC.

Cette rigueur intellectuelle passait pour lui par l’écrit. Il avait une très belle plume et un haut degré d’exigence dans l’analyse des situations. Ce qui l’amenait à vouloir la communiquer à travers des organes d’information de qualité. Le vice-président de l’Unef, élu au congrès historique de Grenoble en 1959, créera le bulletin de l’Union nationale des ingénieurs et cadres de la chimie dont il est le secrétaire général. Il y expérimentait la « pédagogie appropriée » qu’il souhaitait pour initier les cadres au syndicalisme et y faciliter leur insertion sans nier leurs spécificités. Les textes économiques sur les restructurations conduiront les militants à penser les comités de groupe, idée reprise par l’UCC et la Confédération. Transmise à la Commission Sudreau sur la Réforme de l’entreprise en 1974, elle sera traduite en loi. Les cadres étaient plus à l’aise avec ce type de structure d’action qu’avec l’action syndicale en atelier ! Jacques initiera en 1969 la transformation du bulletin de la FFSIC et de l’UCC Cadres et Profession en une revue de qualité devenue ensuite Cadres CFDT. C’est lui aussi qui animera les rencontres entre militants cadres autour d’intellectuels tels que Jean Boissonnat. Ce qui sera transformé dans la seconde partie des années soixante-dix en colloques, donc en moments de travail collectif ouverts.

Cette ascèse intellectuelle - ne pas chercher à se faire plaisir mais creuser les faits pour en expliquer les raisons - qui explique entre autres le fameux « rapport Moreau » qui conduit au recentrage ou à la resyndicalisation revendiquée par le Congrès de Brest en 1978. Ce rapport trouvait ses racines dans les pratiques réelles de certaines fédérations dont la sienne, la Chimie. Pour Jacques, on ne pouvait pas transformer la société sans la société elle-même. La négociation sociale contribue à l’émergence d’autres formes de régulation de l’économie capitaliste.

Jacques fut enfin un européen convaincu, élu avec Jacques Delors au Parlement Européen en 1979, partageant avec Michel Rocard tous les combats et Gilles Martinet, fin connaisseur des social-démocraties. Son rôle principal a été d’aider au développement du dialogue social européen, au sein du syndicalisme international, puis au Conseil économique et social européen. Et avec la création du think-tank Europe et Société. Tout homme a dans sa vie été marqué, formé, bousculé par quelques personnes. Jacques a été pour moi une de celles-là.