Le gouvernement de Tony Blair a fait adopter par le Parlement britannique, fin janvier 2004, son projet de réforme du financement du système universitaire qui sera appliqué à partir de la rentrée 2006 (c’est-à-dire après les prochaines élections générales).

Ce projet de réforme a été défendu par Tony Blair comme l’un des plus importants de son second mandat : il a engagé sa responsabilité de manière déterminante et un échec aurait signifié son départ de Downing Street et de la tête du Parti travailliste. Ce projet a été le plus contesté par les députés du Labour depuis l’arrivée du gouvernement au pouvoir en 2001 – Blair dispose normalement d’une majorité de 161 voix à la Chambre des Communes alors que le projet en question a été adopté à une courte majorité de 5 voix.

La réforme ainsi engagée s’articule autour de trois points essentiels : l’augmentation substantielle des droits d’inscriptions à l’université (jusqu’à plus de 100%) ; la possibilité ouverte aux universités de moduler les frais d’inscription annuels selon les matières enseignées et les cours choisis par les étudiants ; le paiement différé de ces frais de scolarité par les étudiants une fois qu’ils sont diplômés et à condition qu’ils bénéficient d’un salaire annuel suffisant.

Aujourd’hui, les universités britanniques fonctionnent, comme en France, sur le mode du droit d’inscription annuel unique (flat rate tuition fee), soit 1125 livres par an (1800 euros environ) quels que soient le cursus suivi et l’université fréquentée – ce montant et les dotations de l’Etat couvrent aujourd’hui à peine la moitié du coût moyen de l’enseignement annuel des trois premières années de l’université (undergraduate), obligeant les universités à chercher d’autres sources de financement (droits d’inscription des étudiants étrangers, revenus de la recherche, subventions privées…) ou à s’endetter, ce qui est généralement le cas. Ce système encourage ainsi les universités à attirer le plus d’étudiants étrangers possible (ils paient généralement des droits d’inscription jusqu’à dix fois supérieurs à ceux versés par les Britanniques) au détriment des étudiants du royaume.

Une réforme indispensable

Il était donc nécessaire de dégager de nouvelles ressources pour les universités face au « déficit de financement » (funding gap) qu’elles connaissent et qui représente aujourd’hui près de 10 milliards de livres en raison de l’expansion rapide de leurs effectifs et de leurs dépenses ces vingt dernières années1. Ce déficit est essentiellement dû à l’inadéquation entre les moyens et les missions attribués par l’Etat aux universités britanniques. Ainsi le gouvernement de Tony Blair a-t-il, par exemple, fixé un objectif de 50% de la tranche d’âge 18-30 ans ayant fait des études supérieures en 2010. On est aujourd’hui à 45% de la tranche d’âge contre 12,4% en 1979. Au regard de cet objectif de croissance poursuivi par tous les gouvernements, conservateurs comme travaillistes, depuis plus de 20 ans, on ne peut que constater la faible capacité d’investissement des universités, prises dans leur ensemble, due à l’insuffisance des dotations publiques – leur principale ressource avec les frais d’inscription.

Seules les universités les plus anciennes et les plus prestigieuses (Oxford, Cambridge, Londres) réussissent à se financer convenablement, en faisant appel au privé, encore qu’avec des difficultés quant à l’entretien de leurs bâtiments par exemple, et ainsi à être plus autonomes vis-à-vis de l’Etat (elles sont d’ailleurs les seules aujourd’hui à pouvoir évoquer leur privatisation, comme elles en ont le droit). Les chiffres sont plus éloquents encore puisque Oxford et Cambridge disposent ensemble de près de 4 milliards de livres de budget alors que toutes les autres universités du royaume ne disposent que de 1,7 milliards de livres au total – par comparaison, l’Université d’Harvard aux Etats-Unis dispose de près de 10 milliards de livres.

Avec la réforme, les universités vont pouvoir augmenter leurs droits par étudiant jusqu’à 3000 livres annuelles (soit environ 4500 euros). La réforme devrait rapporter, selon les premières estimations, environ 1 milliard de livres supplémentaire par an aux universités à partir de 2009.

Cette mesure générale est accompagnée d’une amélioration du système d’aides pour les étudiants les plus démunis (ils bénéficieront, sous conditions de ressources, de bourses annuelles allant jusqu’à 2700 livres et de prêts complémentaires allant jusqu’à 3555 livres par an à des conditions avantageuses : taux zéro, annulation de dette au bout de 25 ans…). De plus, les universités qui demanderont les droits d’inscription au plafond devront verser 300 livres par an et par étudiant undergrade défavorisé. Ces mesures ont été proposées par le gouvernement pour séduire l’opposition de gauche au sein du Parti travailliste, très hostile au projet initial. Elles coûteront au total 1,15 milliard de livres au contribuable britannique. Tony Blair a par ailleurs précisé à plusieurs reprises, en réponse aux critiques de la gauche du Labour notamment, que la réforme devait également être considérée comme un transfert du coût des études universitaires de l’ensemble des contribuables dont « la vaste majorité » n’a pas fait d’études supérieures vers les étudiants qui ont pu accéder à un emploi qualifié et rémunérateur grâce à ces mêmes études.

Les universités vont également pouvoir faire payer des droits différents selon les cours choisis par les étudiants et ainsi ajuster leurs coûts. L’idée étant d’inciter les universités à réfléchir sur le coût réel des cours qu’elles proposent et leur permettre d’adapter leurs droits d’inscription au plus près de celui-ci. Le gouvernement britannique considère que les cours universitaires ne sont pas des biens équivalents les uns par rapport aux autres en termes de coût. Ainsi, par exemple, calcule-t-on qu’un étudiant undergrade en sciences humaines coûte environ 10 000 livres par an, alors qu’un étudiant undergrade en sciences coûte 15 000 livres.

Les étudiants britanniques soumis au paiement des nouveaux droits d’inscription variables ne seront pas immédiatement redevables de ces droits. Le paiement de ces droits sera en effet différé de quelques années, après l’obtention du diplôme et à condition qu’ils touchent un salaire annuel supérieur ou égal à 15 000 livres.

Cet ensemble de mesures, réclamées par les dirigeants de l’ensemble des universités britanniques, semble plutôt favorable pour les étudiants eux-mêmes. En effet, l’Institute for Fiscal Studies a calculé qu’un diplômé (graduate) masculin moyen pouvait espérer un revenu total, tout au long de sa vie, d’environ 1,2 million de livres. Même un étudiant issu de la classe moyenne (exclu de la combinaison optimale des bourses et des prêts évoquée ci-dessous) pourra obtenir son diplôme avec une dette de 18 665 livres qu’il devra rembourser sur 19 ans – à condition qu’il gagne 15 000 livres ou plus par an – alors qu’il devra payer, par exemple, 330 000 livres d’impôts sur le revenu sur la même période.

Il n’est pas sûr en revanche que la réforme suffise à régler la totalité des problèmes de financement de l’enseignement supérieur britannique. Beaucoup de spécialistes jugent l’augmentation des droits insuffisante pour assurer la pérennité du système, compte tenu du déficit existant et de l’incitation aux études supérieures de la part du gouvernement et des employeurs. On notera simplement à ce titre, qu’au-delà de la répartition des coûts entre la collectivité publique, les étudiants bénéficiaires ou le secteur privé, l’un des enjeux essentiels de la compétitivité des systèmes européens d’enseignement supérieur aujourd’hui reste leur sous-financement en % du PIB (chiffres de l’OCDE pour 2003 : Royaume-Uni : 1% (dont 0,3% privé) ; France : 1,1% (dont 0,1% privé) ; Australie : 1,5% (dont 0,7% privé) ; Etats-Unis : 2,7% (dont 1,9% privé).

La modulation du coût des études selon la discipline risque également de condamner certaines filières ou de créer une université à plusieurs vitesses, dans laquelle les étudiants s’orienteraient vers des études en fonction de leurs ressources davantage que selon leurs désirs ou leurs compétences, ce qui risque de conduire à terme à une offre de cursus moins diversifiée, les universités ayant tout intérêt à se spécialiser sur les filières les plus lucratives.

1 : Les diplômes universitaires britanniques sont de plus en plus nombreux alors qu’ils ont une valeur de moins en moins reconnue, aux yeux des employeurs notamment. La date clef pour comprendre cette évolution en forme d’augmentation de la quantité et de baisse de la qualité des diplômes est 1992, lorsque le gouvernement conservateur a autorisé les polytechnics (enseignement supérieur court local) à se rebaptiser « universités ». Cela a développé un ensemble de nouveaux cours et de nouvelles appellations qui ont brouillé les cartes, en faisant éclater la barrière entre formation professionnelle et enseignement académique – cette uniformisation ayant considérablement fragilisé l’enseignement supérieur britannique.