C’est au début des années soixante-dix, avant la décentralisation et dans le sillage des lois sur la formation professionnelle, que l’État, qui formait ses instituteurs dans des écoles normales depuis la loi Guizot de 1833 et les membres de ses grands corps depuis 1945, mesure l’atout que représente la formation des personnels des collectivités pour l’aménagement du territoire et le développement du pays. Aujourd’hui, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) est un véritable outil de promotion sociale1. On est loin de l’École nationale d’administration municipale qui préparait aux carrières pour les personnels de la Seine et dispensait des cours par correspondance aux agents de la province… L’histoire des collectivités locales commence avec la loi du 5 avril 1884 : la jeune République instaure un régime unique pour toutes les communes de France créées elles à la Révolution pour supplanter les paroisses (« Il y aura une municipalité dans chaque ville, bourg, paroisse ou communauté de campagne »). Cette loi constitue le véritable point de départ de l’affirmation progressive de pouvoirs locaux face au pouvoir central. La France des territoires commence avec les communes. Elles s’articulent avec la création des départements qui répond elle à une réorganisation administrative du pays divisé par l’Assemblée constituante de 1789 en quatre-vingt-trois territoires (« Il sera fait une nouvelle division du royaume en départements »).

Un projet pédagogique unifié par métier

La fonction publique territoriale représente pourtant les deux tiers de l’investissement public, disséminé dans plusieurs milliers de territoires. Pour accompagner la décentralisation initiée par la loi du 2 mars 1982 portant droits et libertés des communes, départements et régions, les agents des collectivités territoriales se virent dotés d’un véritable statut par la loi du 26 janvier 1984. Le Parlement apportait ainsi une réponse décisive aux principales revendications des associations et syndicats communaux successivement constitués depuis le dix-neuvième siècle. « La parité statutaire entre les trois fonctions publiques exigea, pour la fonction publique territoriale, un dispositif de formation à la hauteur de celui des fonctionnaires de l’État et du secteur hospitalier, d’autant que les collectivités territoriales, consacrées par le mouvement de décentralisation, exprimèrent le besoin de disposer de compétences conformes aux exigences du service public territorial » souligne le CNFPT2.

Le CNFPT via l’Inet a des missions spécifiques à l’attention des cadres d’emplois dits A+ de la fonction publique territoriale, c’est-à-dire les administrateurs (exemple de fonction : directeur général des services de communes de plus de 40 000 habitants), les ingénieurs en chef (fonctions supérieures d’encadrement en architecture, infrastructures, gestion des risques, urbanisme, aménagements, systèmes d’information…), les conservateurs de bibliothèques et les conservateurs du patrimoine territoriaux. À l’obtention des concours de catégorie A+, les lauréats suivent une formation initiale de dix-huit mois à l’Institut national des études territoriales : l’Inet, « une école du CNFPT avec un projet pédagogique unifié, par métier et non par collectivité, qui intègre les besoins des usagers, tout en se connectant à chaque territoire » relève Véronique Robitaillie, sa directrice.

Un cycle supérieur en management

L’action publique locale organise la vie collective sur un territoire, ce qui peut permettre la participation des usagers. C’est pourquoi la formation des cadres dirigeants repose sur le principe de l’alternance entre apports théoriques et missions en collectivités territoriales. L’Inet travaille en co-construction avec les collectivités, développe une offre de formation adaptée aux besoins spécifiques de chaque collectivité. Un sur-mesure qui se retrouve dans l’ingénierie de formation. Plateaux pédagogiques, apprentissage par projet, ateliers participatifs, utilisation de maquettes, bureaux mobiles… Les espaces du nouveau bâtiment de l’école à Strasbourg, intégré par ailleurs dans un quartier en profonde rénovation, répondent à une politique d’innovation afin d’éviter les cours magistraux3. La configuration de l’espace y reflète une représentation de l’acte d’apprendre. Un esprit qui favorise le travail et l’intelligence collectifs, l’écoute et la participation en adéquation avec la finalité des missions de l’action publique locale : en phase avec le territoire. Le tout en mêlant élèves issus du concours interne et externe dans les trois grands champs professionnels : administrateurs, conservateurs, ingénieurs. Tous ont en commun d’être des managers de haut niveau, ce d’autant plus que les collectivités voient leur champ d’action s’élargir et les contraintes de gestion se complexifier.

Le plus ancien cycle proposé par l’Inet est en effet centré sur le management. Le Cycle supérieur en management, fondé avec l’Insead4 en parallèle avec la création du statut de fonctionnaire territorial en 1984, est aujourd’hui conçu en partenariat avec le laboratoire de recherche en management de l’Université Versailles-Saint-Quentin. La formation est orientée vers l’efficience de l’action d’un top manager : participation à la définition du projet global de la collectivité, assistance de l’autorité territoriale, définition de stratégies économique et financière, supervision du management des services. Une mission de consultance basée sur une commande réelle de collectivité territoriale constitue la clé de voûte du cycle : « Pour une approche globale du temps de travail » dans la politique RH de la Ville d’Aubervilliers, « Evaluation de la politique de lutte contre les incivilités » à Nanterre, « Enrichir la stratégie touristique de Saint-Nazaire »… : les collectivités confient aux élèves des problématiques complexes, emblématiques de leur actualité5.

Les élèves postulent aux postes qui les intéressent

L’autre singularité de la formation dans la Territoriale est l’absence de classement de sortie ou de processus d’affectation. Ce sont les élèves qui postulent aux postes qui les intéressent. Parallèlement aux formations, l’Inet s’investit donc dans l’accompagnement et le conseil en professionnalisation. Les élèves doivent trouver un emploi dans une collectivité correspondant à leur grade (le grade est un titre personnel alors que l’emploi correspond à un poste). Les fonctionnaires territoriaux sont donc sur un marché du travail hybride, à la fois délimité par un statut public et ouvert à l’offre et à la demande comme dans le privé. L’absence de classement implique une approche par l’expérience et les compétences. Le CNFPT assure ainsi une veille et une prospective dans chaque domaine d’expertise, en s’appuyant sur un réseau de professionnels territoriaux. « Ce travail d’analyse en profondeur de l’action publique locale et de ses évolutions représente une contribution essentielle dans le cadre de la définition de la stratégie de formation. Nous travaillons sur la relation à l’employeur, sur la notion de trajectoire professionnelle ; c’est structurant pour nos formations » précise Véronique Robitaillie. Comme l’observation et la prospective, la veille permet d’anticiper les mutations des métiers en lien avec les évolutions du contexte de travail.

Ces ouvertures aux territoires et aux trajectoires résonnent dans un événement annuel qui rassemble plus d’un millier d’administrateurs : les Entretiens Territoriaux de Strasbourg (ETS) entendent « faire vivre l’innovation managériale dans le service public local », et ce « dans des formats qui permettent d’expérimenter, de se nourrir, de se retrouver, de s’ouvrir, de confronter »6. Les ETS accueillent toute la diversité des cadres supérieurs territoriaux. Ingénieurs en chef, administrateurs ou attachés, officiers supérieurs de sapeurs-pompiers, conservateurs ou médecins territoriaux… Derrière le besoin d’échange, celui de partager une identité professionnelle. Identité ? « Les hauts fonctionnaires sont par définition au service des collectivités et le pouvoir local est autonome, donc pour travailler au service des populations il faut travailler derrière les élus ». Un engagement professionnel subtil, fait d’effacement derrière les responsables choisis, tout en ayant le goût du territoire et du service de proximité. Un haut niveau de conscience citoyenne cultivée par un haut niveau de professionnalisme.

1 : A noter que le CNFPT est un établissement public paritaire composé de représentants de toutes les collectivités territoriales et de représentants des organisations syndicales de la fonction publique territoriale.

2 : « Rapport d’information relatif à l’activité du CNFPT », 2016.

3 : A voir en images sur Campus-Channel, « Envers du Campus de l’Inet », janv. 2018.

4 : L’Institut européen d’administration des affaires, créé en 1957.

5 : Lire l’intégralité de la présentation des dernières missions « Un autre regard sur les territoires. Elèves administrateurs territoriaux de l’Inet – Promotion Nina-Simone 2017-2018 », www.inet-ets.net/mailings/un-autre-regard-2018.

6 : www.inet-ets.net, auxquels participe chaque année la CFDT Cadres.