Quelle est la crédibilité, la valeur ajoutée de l’acteur syndical dans ces lieux de concertation, de décision. En quoi sa parole est-elle utile dans ces instances, en quoi est-elle différente, en quoi est-elle pertinente ?

Un bref état des lieux

Si la question se pose à l’échelon national, elle se pose aussi à l’échelle européenne, où de nombreuses directives, orientations, relatives à l’enseignement supérieur (stratégie de Lisbonne, processus de Bologne, mise en place du cadre européen de qualification, des registres d’assurance qualité…) ont des effets structurants sur nos politiques nationales en matière d’éducation.

Cette analyse s’appuiera sur ma propre expérience d’administrateur dans une grande école supérieure, celle également d’un vacataire dispensant des cours en dernière année d’école d’ingénieur, mais aussi sur celle du représentant d’Eurocadres, notre organisation syndicale européenne, dans l’espace européen de l’enseignement supérieur et plus spécifiquement au sein du BFUG (Bologna Following-Up Group), le groupe de suivi du Processus de Bologne.

Un examen rapide des lieux où siègent des représentants de la CFDT Cadres ces dernières années illustre notre ancrage dans les lieux de gouvernance en matière d’enseignement supérieur : vice-présidence de la Commission des titres d’ingénieur, présidence ou vice-présidence du Cesi en alternance avec les représentants des employeurs, représentation de la CFDT dans les commissions du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, au Conseil d’administration du Conservatoire national des arts et métiers, du Celsa, de l’Ecole des Mines de Paris, de l’université de Paris Dauphine, de l’université de Paris-Sorbonne, de l’IAE de Paris 1…

La liste n’est pas exhaustive. Au niveau européen, par notre présence dans Eurocadres, nous représentons le monde des ingénieurs et cadres dans différentes instances relatives à l’enseignement supérieur : Suivi du Processus de Bologne, DG Education de la Commission européenne, Groupe de travail de la Commission européenne sur le Life Long Learning, implication dans EUR-ACE (European Accreditation Process for Engineers), dans le réseau ENQA (European Network for Quality Assurance), et dans ENAEE (European Network for accreditation of engineering education)…Nous sommes également impliqués dans le projet européen StartPro visant à améliorer l’insertion professionnelle des jeunes diplômés, dans le prolongement de notre engagement à l’Apec, en France, en direction de ce même public des jeunes diplômés.

Qu’y faisons-nous ? Dans ces différentes instances, nous siégeons le plus souvent aux côtés des représentants du monde académique, du monde des entreprises et administrations. Notre responsabilité dans ces organes de gouvernance est une responsabilité de gestion : nous votons des budgets, des orientations, nous prenons position et faisons des choix de gestion, guidés prioritairement par l’intérêt des clients finaux, les futurs cadres et ingénieurs. Nous y sommes en général très minoritaires : un poste de titulaire et parfois de suppléant dans les conseils. La représentation majoritaire est celle du monde académique, suivie par celle des représentants des employeurs et de l’Etat. Lorsqu’un poste est mis en balance pour pouvoir faire entrer un autre acteur, comme cela s’est passé récemment dans une école supérieure, c’est souvent le représentant du monde syndical qui est sur la sellette ou écarté.

Dans le cadre du suivi du processus de Bologne au niveau européen, nous sommes considérés comme membre associé et ne siégeons pas de plein droit dans les instances de décision contrairement aux représentants des grandes entreprises européennes organisées au sein de l’Unice.

Lors de la conférence interministérielle de Londres les 16 et 17 mai 2007, rassemblant tous les ministres de l’Education en Europe et de très nombreux représentants des différentes parties prenantes, la représentation syndicale était d’une ou deux personnes maximum sur quelque 300 participants. Présence minoritaire mais présence tout de même, et non au titre de représentants syndicaux du monde académique mais bien en qualité de représentant des ingénieurs et cadres, il est important de le souligner. Une présence à renforcer, à consolider, une légitimité à asseoir, une crédibilité à renforcer par l’apport d’une réelle valeur ajoutée. Pourquoi ?

Nous disposons maintenant d’une expérience de plusieurs dizaines d’années, ayant mobilisé de nombreux militants de l’UCC, puis de la CFDT Cadres. Quel bilan peut-on tirer de cette présence et de cette implication ? Qu’avons-nous observé, qu’avons-nous fait, qu’avons-nous apporté ? Ou, autre façon de poser la question : et si nous n’avions pas été présents dans ces instances, qu’est-ce que cela aurait changé ?

Le sens d’une présence

Deux constats s’imposent : nous avons pleinement joué et assumé notre rôle de gestionnaire ; nous avons souvent été les seuls à porter l’expression, les besoins, le ressenti des jeunes diplômés, des jeunes professionnels et des cadres.

Parfois, nous sommes allés plus loin en proposant l’évolution des contenus des programmes d’enseignement sur des questions de responsabilité professionnelle, de responsabilité sociale des entreprises, de développement durable ou encore de responsabilité sociale des cadres, directement auprès des écoles ou universités ou d’institutions les représentant. C’est aussi le sens de notre engagement dans l’Initiative pour la responsabilité sociale des cadres. Nous y reviendrons.

Siéger dans un conseil, c’est participer aux échanges, à la définition des orientations stratégiques et à leur mise en œuvre, donc aux prises de décision. Un syndicaliste pourrait être tenté de prendre position en fonction d’intérêts corporatistes, ou pour satisfaire les intérêts des parties prenantes internes que sont les salariés des écoles et universités et leurs représentants, ou encore prendre le parti du statut quo, synonyme d’immobilisme, d’absence de réforme et de modernisation dans un univers qui a pourtant bien besoin de s’adapter à des changements multiformes. Ce serait oublier l’intérêt du client final, du bénéficiaire, l’intérêt social ou sociétal de l’organisation, sa finalité.

Au regard ou au filtre de ces critères de la prise de position ou de décision, l’expression CFDT Cadres a pu parfois se trouver décalée, différenciée par rapport à celles d’autres organisations syndicales, mais aussi à celle des représentants du monde académique ou des ministères de tutelle et enfin à celle des employeurs. La qualité de la gouvernance d’une école, d’une université mais de toute institution en charge des questions d’enseignement supérieur est, comme dans bien d’autres domaines, très étroitement liée à la qualité des débats, de la pluralité d’expression, de la richesse de la confrontation des points de vue. Elle est également liée à la qualité du processus de prise de décision, de la définition des objectifs et des critères qui leur donnent cohérence au temps de la confrontation, de la délibération et enfin de la décision et de sa mise en œuvre.

Si la diversité fait richesse, la pluralité des expertises et la pluridisciplinarité des acteurs sont autant de facteurs clés de la visibilité, de la compréhension des enjeux, de la maîtrise de la complexité des orientations et décisions à prendre et de leurs impacts. L’absence de tout cela est synonyme de plus forte exposition au risque de nombrilisme institutionnel ou de parole unique, souvent synonyme de mauvaise décision. La question de la désignation des représentants dans ces instances de gouvernance est dès lors déterminante. La cooptation et la seule logique de réseaux de proximité peuvent vite amener la consanguinité des conseils et l’absence de parole différenciée.

Si nul ne conteste le nécessaire rapprochement entre l’université et l’entreprise, la pertinence de liens plus étroits entre les deux mondes pour améliorer les processus d’orientations, les réponses de l’enseignement supérieur aux besoins des entreprises et administrations, nous devons rester vigilants sur le risque de réponses d’opportunité, ou de satisfaction d’un besoin ponctuel régional qui servirait un intérêt immédiat pour l’entreprise mais pas un intérêt à plus long terme pour la même entreprise et encore moins pour le futur jeune diplômé. Question de dosage et d’équilibre, d’arbitrage et donc de confrontation préalable.

Notre rôle de représentant des ingénieurs et cadres

Dans notre rôle de représentant des salariés, nous couvrons tout le cycle de vie d’une carrière professionnelle. Nous sommes des observateurs privilégiés des difficultés d’insertion dans le premier emploi, des difficultés du maintien dans l’emploi des cadres seniors, des difficultés de la gestion des mobilités, des transitions pour sécuriser les parcours professionnels. Nous sommes aussi témoins des difficultés liées à l’employabilité tout au long de la vie professionnelle des cadres.

Certes, toutes ces difficultés ne sont pas directement liées aux compétences, aux qualifications et donc à la qualité et l’efficacité de la formation initiale et de la formation continue ; elles appellent des réponses d’autres acteurs, d’autres leviers que la formation. Mais la question de l’articulation des compétences des ingénieurs et cadres et des besoins des entreprises et administrations mérite toute notre attention. Sur ce terrain, nous avons des choses à dire, des propositions à formuler. Ma propre expérience de vacataire dispensant un cours d’accompagnement du changement technologique et organisationnel, mais aussi de tuteur pour des stages de fin d’études supérieures, m’a éclairé sur les difficultés rencontrées par ces jeunes diplômés et futurs décideurs. Quelles sont-elles ?

Difficultés à gérer les tensions, les conflits, à faire face aux résistances aux changements de toutes natures, à organiser la confrontation, difficultés à délibérer, arbitrer, négocier, décider… Difficultés également à moderniser, par étapes, selon un échéancier et des modalités discutées ou négociées. Difficultés également à porter un regard critique de façon positive, constructive sur un existant ; univers de travail, méthodes utilisées, outils et méthodes de gestion utilisés. Certes, on ne peut tout demander à un jeune professionnel, mais souvent ces difficultés perdurent, faute de connaissances acquises, de compétences construites dans ces domaines. Les entreprises sont de plus en plus invitées à rendre compte à l’ensemble de leurs parties prenantes, à intégrer la diversité dans leurs pratiques managériales, à intégrer le « multi-tout (langue, culture, parties prenantes…) ». Cela contribue à la complexité de leur environnement.

Ces évolutions rendent totalement obsolète toute forme de pensée unique, justifiant au contraire la pluridisciplinarité, la confrontation organisée des logiques d’intérêts différenciés. Tout cela ne se décrète pas, ne s’improvise pas mais obéit bien à un processus d’apprentissage. Sans doute est-il plus aisé de faire face à ces difficultés avec de l’expérience professionnelle, de faire face à des dilemmes professionnels ou éthiques en situation opérationnelle. Encore faut-il y être préparé soit par la formation initiale, soit par la formation continue.

Dans nos différentes initiatives avec le réseau de l’Initiative pour la responsabilité sociale des cadres, nous avons eu à diverses reprises des contacts avec le monde académique pour évoquer ces sujets. L’intégration dans les programmes d’enseignement supérieur et les contenus pédagogiques des concepts de développement durable, de responsabilité sociale des entreprises et des organisations, de responsabilité sociale des cadres et de conditions d’exercice de celles-ci, ne pourra faire l’impasse sur le questionnement des méthodes, outils de gestion, de pilotage stratégique ou opérationnel, enseignés ou pratiqués jusqu’à présent. Elle ne pourra pas non plus faire l’impasse sur le management des ressources humaines, les pratiques managériales, prenant mieux en compte toutes ces dimensions.

C’est là que le bât blesse aujourd’hui. Nous ne sommes pas allés au bout du questionnement. Il est de notre rôle d’acteur syndical d’éclairer les zones d’ombre. Le chantier est colossal, mais il est passionnant. Il nécessitera la présence et l’engagement de tous les acteurs, dans les instances de décision, d’orientation, de définition des politiques d’éducation et de formation initiale et continue.

Cela nécessitera de rénover la gouvernance des universités et des écoles pour faire plus de place à la pluridisciplinarité, à la pluralité et la diversité des acteurs, pour mieux maîtriser un futur plus incertain, plus complexe et finalement pour être simplement plus efficace, dans l’intérêt des jeunes diplômés de demain.

Cela nécessitera aussi que les CA deviennent des lieux de réflexion et de décision stratégiques, l’opérationnalité revenant alors à un exécutif plus fort, plus responsabilisé, faisant jouer pilotage central et autonomie d’action locale, reconnaissant aussi la place du dialogue social en particulier dans les comités techniques paritaires et les comités d’entreprise.