Le travail s’inscrit aujourd’hui dans un espace d’instabilité : le contrat d’emploi traditionnel - temps plein et durée indéterminée - demeure majoritaire mais n’est plus l’horizon directeur. Le salariat va de pair avec une économie industrielle. L’époque parle de la fin du travail : cela s’entend comme celle de l’emploi salarié de masse telle que les Trente Glorieuses en ont imposé une représentation.

Les entreprises créent moins d’emplois stables. La production est transformée par la révolution technologique. Le secteur du savoir émerge, composé d’innovateurs industriels, de scientifiques, de techniciens, d’informaticiens, d’enseignants et de consultants. Car travailler aujourd’hui, c’est rendre service : vendre, soigner, conseiller, enseigner, divertir... « Là où le monde agraire, le cheval et le village avaient cédé devant l’usine, le train et la nation, nous sommes entrés dans une économie du cerveau, des liens virtuels, aériens, et dans la mondialisation » résume ainsi le sociologue Jean Viard.

Les marchés et les organisations du travail sont plus complexes. Ce qu’il y a de nouveau depuis une dizaine d’années est la puissance exponentielle du monde virtuel, permettant à tous ou presque d’être présents sur des marchés. Nul besoin d’une boutique, de racheter une clientèle ou une licence pour faire de la vente de biens ou rendre un service.

Ce dynamisme ne contient pas la dualité du marché du travail. Le flou entre le travail encadré par un emploi ferme et une zone grise s’étend même : jobs, abus de stages, saisonniers, franchisés, intérim à répétition, bénévoles et clients enrôlés au service d’une entreprise, etc. Une incertitude qui appelle à renforcer le registre de la reconnaissance professionnelle. Entre dynamique économique et fragilités sociétales, comment les syndicats, dont le modèle de relations sociales est issu du monde industriel agissent-ils face à ces menaces et opportunités ?

Dans une économie qui redessine les frontières de l’emploi et du travail, les militants apprennent à penser hors-les-murs traditionnels.

Ils plaident pour un volet social de l’intégration européenne alors que celui-ci n’en est pas le moteur. Ils consolident des fédérations sectorielles puissantes et au rayonnement international. Ils participent comme d’autres acteurs de la société civile au dialogue économique et politique. Ils s’engagent dans les comités économiques et les conseils d’administration des grandes entreprises dans lesquels la voix du travail n’est pas la plus attendue.

Ils apprennent également à travailler entre eux, tant les modèles de relations professionnelles sont différents d’un pays à l’autre : anglo-saxon, latin, nordique... Du syndicalisme intégré comme un service d’intérêt général au syndicalisme désintégré dans des pans entiers de l’économie libérale, la diversité est grande. Et la rencontre de dirigeants syndicaux suédois, belges, britanniques ou italiens, par exemple, est une bouffée d’air frais à l’heure où la question syndicale est caricaturée en France.

La CFDT Cadres a toujours eu les pieds sur la terre hexagonale et une tête à l’international. Elle y rencontre des partenaires inspirants, un syndicalisme réformiste, de services professionnels, du dialogue économique - voire de la codétermination - et une terre de défis sociaux.

Ces défis ne sont plus tout à fait ceux de la société salariale. Les formes d’emploi évoluent, les parcours se fragmentent, l’usure professionnelle s’accélère, l’intensification devient plus abstraite, on cherche des appuis adaptés et singularisés... Le travail militant dans l’économie qui émerge se nourrit d’engagement sans frontière.