On a trop souvent une vision rétrécie de l’entreprise, pour beaucoup elle se confond avec l’employeur. Il est légitime que les salariés participent aux décisions qui la concernent au-delà des conditions de travail1. Le rôle du syndicalisme, tel que nous le concevons, est bien de faire en sorte que le pouvoir soit partagé. Le dialogue économique et social, la négociation collective, sont des leviers pour que les salariés soient partie prenante dans l’orientation et l’organisation. L’histoire de la CFDT va de pair avec le développement d’un militantisme de proximité : section syndicale, participation, droit d’expression, régulation par la subsidiarité, réforme de la légitimité syndicale… Nous militons pour une articulation entre la loi et le contrat qui donne plus de marges de manœuvre aux acteurs sur le terrain. La « loi Travail » aujourd’hui en constitue une nouvelle étape. Notre conviction, c’est que les 1 Cf. « L’entreprise est d’abord une collectivité humaine », Le Monde, 21/04/2016. besoins des salariés sont mieux pris en compte si une partie des règles sociales, celles qui concernent leur quotidien de travail, est négociée au plus près d’eux – dans un cadre protecteur défini par la loi garantissant les droits fondamentaux. C’est un choix de confiance à l’égard des militant(e)s qui s’impliquent dans l’entreprise.

Notre identité syndicale est ainsi celle de l’implication et de la participation. Depuis plusieurs années, la fatigue démocratique est palpable. On peut le dire sans pour autant verser dans le populisme : les acteurs ne sont pas à la hauteur. Classe politique, gouvernement, patronat… tous se montrent incapables d’expliquer et d’accompagner les transitions, de montrer un cap et de donner du sens. Les partis peinent à débattre des mutations économiques. Notre syndicalisme contribue à la revivification du débat sociétal. Le propre d’une démocratie, c’est d’organiser la confrontation des intérêts contradictoires qui la traversent ; sans conduire à l’écrasement d’un camp sur un autre ; et sans faire droit à toutes les revendications ou pressions corporatistes. Le dialogue social, c’est fondamentalement ce qui permet d’agir pour tous sans nier les divergences d’intérêts. Contrairement à d’autres organisations syndicales, nous revendiquons de contribuer à l’intérêt général. Cela passe par un syndicalisme interprofessionnel et inter-catégoriel, qui défend les salariés du public comme du privé, l’ouvrier comme le cadre. En ce sens, l’engagement CFDT est un engagement citoyen qui dépasse les intérêts immédiats de telle communauté de travail ou d’idées.

Revivifier la démocratie, c’est entendre les aspirations qui s’expriment, et donner confiance dans les capacités collectives. Il faut entendre les manifestations d’angoisses, les tentations du repli, sans les juger. Mais il faut aussi entendre les expressions positives de citoyens qui ont envie de se rassembler, de délibérer, et tout simplement de se parler. Le mouvement « nuit debout » peut en être une illustration. Les projecteurs se sont braqués dessus, mais il y a de nombreuses initiatives qui se développent dans les territoires, de nouvelles façons de vivre ensemble, de s’entraider, de consommer ou de produire… sauf qu’on n’en parle peu ou qu’on ne sait pas comment faire système. La CFDT a lancé le projet « Les places de la République »2 pour rassembler des acteurs de la société civile, afin de valoriser ce qui se fait déjà et de multiplier les actions. Je pourrais également citer le « Pacte civique ». Nous avons toujours été moteurs de l’expression politique de la société civile.

Nous avons une conception ouverte du mouvement social. « Nous ne croyons pas au Grand Soir, ni à des réformes clés en main. Nous savons que les citoyens, dès lors qu’ils s’engagent et s’organisent, sont en avance sur les dirigeants » ai-je écrit dans mon livre3. Tout ne vient pas d’en haut, de Paris, de l’Etat, de la loi... Quittons un peu l’esprit des normes pour celui des initiatives fédérées. Au congrès de Strasbourg en 1988, Edmond Maire disait que la CFDT devait être un « syndicalisme indépendant, représentatif de l’ensemble du salariat, qui prône la transformation sociale, non pas comme une avant-garde éclairée mais en impliquant ses adhérents, des adhérents qui s’émancipent par leur engagement ». Cette définition originelle n’a pas pris une ride.

Je l’associerais avec le tournant que nous avons pris ces dernières années, celui de remettre la question de l’activité professionnelle au centre de nos préoccupations. Notre engagement sur la qualité de vie au travail, les nouvelles protections sociales individuelles que nous avons acquises... C’est un travail politique sur l’émancipation. Nous prenons les salariés pour des adultes, nous valorisons les évolutions professionnelles, la mobilité choisie, la formation continue, le passage cadre… Etre représentatif par le nombre, et pas uniquement par l’élection, reste un défi majeur. Si nous soutenons la philosophie de la loi « travail » et les analyses du rapport Combrexelle4, qui tendent à donner plus d’espace au droit social conventionnel, c’est aussi pour renforcer le poids et la responsabilité du syndicalisme… et donc son utilité pour les salariés. Cette évolution majeure devra forcément conduire les autres acteurs à évoluer, et à prendre, justement, leurs responsabilités. La CFDT est l’organisation syndicale la mieux armée pour faire adhérer un grand nombre de salariés et les rendre acteurs.

Dans ce contexte, l’apport de la CFDT Cadres est singulier et utile à toute l’organisation. Son caractère interprofessionnel lui donne une légitimité transversale et nationale. Sa tradition de laboratoire d’idées, à la fois sur le plan intellectuel et partenarial, joue dans ce sens. Ni aiguillon, ni donneur de leçons, mais aux côtés des autres militants. Je compte sur l’apport de l’union, comme en section où nous privilégions la pluralité entre salariés. Je compte sur sa liberté de ton et d’action. Son travail sur le management, sur la coopération, sur la reconnaissance du travail profite à tous. Mais également ses exigences sur le dialogue social et ses attentes à l’égard du syndicalisme. Sans compter que les mutations du travail salarié touchent en amont les salariés cadres. Tout cela est ressenti dans les interventions du secrétaire général CFDT Cadres en tant que membre du Bureau national confédéral.

Jean-Paul a su faire tourner à plein régime la CFDT Cadres. Je suis bien placé pour saluer l’action collective de l’équipe du Secrétariat et du Bureau national cadres. Elle participe aux projets de la CFDT sur le travail, à partir de l’entreprise et en impliquant les salariés. Je salue avec amitié le parcours de Jean-Paul qui incarne cette articulation.

Laurent Berger

2 : Cf. « Faire vivre les places de la République », Le Journal du Dimanche, 14/02/2016.

3 : Permis de construire. Nous vivrons ce que nous changerons, Tallandier, 2015.

4 : La négociation collective, le travail et l’emploi », sept. 2015.