Pour bien situer les rapports entre travail, expérience, connaissances et compétences, il y a besoin de les regarder dans des temps longs. Depuis toujours, il n’y a pas de connaissance qui n’ait émergé d’une expérience, d’une réaction à la nature, d’une action pour la transformer, d’un échange entre humains pour transmettre une compréhension d’un phénomène et rendre possible l’action à plusieurs. Les connaissances sont des formes de cristallisation de l’expérience qui la rendent transmissible. Certains ethnologues montrent ainsi que l’homme a un langage parce qu’il a une main qui lui permet de modeler et transformer des objets, et pas seulement de les prendre ou les lâcher. S’institue ainsi une forme de distance et une capacité où les sons prennent sens et font à leur tour émerger avec le langage une forme sociale d’échange tourné vers l’action commune. Depuis l’aube de l’humanité, en structurant ses connaissances au sein du langage, l’homme comprend et discute le monde dans lequel il se trouve avec d’autres, y compris en se disputant à perte de vue sur le sexe des anges.

Un renversement s’opère avec la naissance du monde moderne, moment de prise de conscience de la distance entre monde façonné par l’homme et monde façonné par la nature : la connaissance fruit de l’expérience devient elle-même source d’expériences nouvelles. La connaissance outil d’appréhension et de compréhension de la nature devient moyen d’investigation et de transformation. Ainsi dans, un même mouvement, émergent dans la société des individus qui revendiquent leur autonomie par rapport aux ordres divins, et naissent des savants qui ne sont plus seulement des sachants, mais se font créateurs, voire démiurges. De cet essor des sciences naît la première révolution industrielle, avec une maîtrise de la matière et de l’énergie venant épauler et démultiplier l’effort humain dans des proportions inimaginées antérieurement.