C’est au terme d’une scolarité plus ou moins bien réussie que, dans nos sociétés démocratiques, des individus nés égaux en droits vont occuper des positions sociales inégales. Quoi de plus juste alors que de faire reposer sur le travail, le courage et l’assiduité de nos enfants la position qu’ils occuperont plus tard – et ce, indépendamment de leur naissance ou de leur héritage ? Mais, si le principe de la méritocratie est largement revendiqué et affiché dans nos écoles, les différences de réussites entre catégories sociales, ethniques ou sexuelles ne disparaissent pas, bien au contraire.

Face à ce constat amer, et dans le contexte des débats qui ont entouré la sortie du rapport Thélot, François Dubet nous propose un renversement de perspectives pour approcher autrement l’égalité des chances : l’école juste ne sélectionnerait pas les élèves les plus méritoires en orientant les « vaincus » en fonction de ce qui les écarte d’un modèle d’excellence mais garantirait aux plus faibles un meilleur traitement. Recentrer ainsi le propos autour du sort des plus faibles met en évidence les insuffisances d’un système scolaire pensé à l’aune du seul principe d’égalité méritocratique des chances. Pour une école plus juste, il faut alors adjoindre les principes d’égalité distributive, sociale et individuelle à celui de la méritocratie. S’appuyant sur ces quatre grands principes, François Dubet dessine l’école juste autour de quelques idées forces.

Conserver une éthique de la justice dans l’école, d’abord. Sans la fiction nécessaire de l’égalité méritocratique, les notions d’efforts et de travail s’effondrent ainsi que, in fine, celle d’une société démocratique.

Passer de l’égalité à l’équité scolaire, ensuite. Parce que l’école est inscrite dans une société forcément inégalitaire et pour qu’aucun élève ne souffre de handicap social, certaines inégalités de traitement sont justifiées. François Dubet souligne ici l’intérêt de la discrimination positive lorsqu’elle est centrée sur les projets des individus, ce qui suppose alors l’accès de tous à une véritable information sur la « valeur » des parcours : aujourd’hui seule une poignée d’initiés savent lesquels sont « payants » et adoptent leur stratégie en conséquence. D’autre part, l’équité commande de revoir des normes et règles prévues pour être égalitaires : il en va ainsi de la carte scolaire (« décalque de la ségrégation urbaine ») que les privilégiés du système peuvent contourner aisément.

L’école juste doit aussi garantir un « bien éducatif commun ». Les programmes scolaires ne doivent plus être envisagés dans une optique de sélection des élites mais être pensés en fonction de ce dont aura besoin et ce dont a droit chaque élève, même le plus faible. Le projet de l’école doit être que tous sachent « ce qu’il n’est pas permis d’ignorer » indépendamment des logiques sélectives. Il faut donc à ce niveau réintroduire le débat politique (au sens noble du terme) pour définir ce que doit être une culture commune aujourd’hui.

Ouvrir d’autres voies de promotion sociale, enfin. François Dubet achève sa réflexion sur la place que doit tenir l’école. Quand bien même nous aurions réussi à construire une école « juste », aurions-nous pour autant rendu la société plus juste ? Rien n’est moins sûr. La justice sociale réside finalement dans la multiplicité des chances qui sont offertes aux individus, en ce sens aucune hiérarchie sociale ne peut reposer sur un seul mode de sélection quel qu’en soit la valeur intrinsèque. Une école plus juste c’est donc aussi une école dédramatisée au sein d’une société où les diplômes seuls ne déterminent pas le destin d’un individu.

A travers des propos qu’il ne juge ni radicaux, ni utopiques, François Dubet nous convainc du sens des efforts à entreprendre et de l’urgence d’engager une véritable réflexion politique et non pas technicienne ni idéologique.

Mais il est aussi d’un pessimisme lucide sur les freins au changement : ceux-ci relèvent à la fois du manque de volonté des décideurs qui profitent du système scolaire actuel, du renoncement des victimes désormais convaincues de leur incompétence à s’engager dans le débat mais aussi de la sensibilité du personnel de l’Education nationale qui a trop vu de réformes amputer son budget et désorganiser les écoles sous couvert de grands principes.

Il faudra donc du courage politique, une force de conviction et une honnêteté sans faille de la part de tous les acteurs du système éducatif pour mener à bien ce changement de perspective et rendre l’école « moins injuste ». Courage donc !