Au lendemain des attentats du 13 novembre en France, et alors que les débats sur l’accueil des réfugiés syriens agitent la société allemande, l’éditeur d’Hermann Hesse à Berlin crée un forum d’intellectuels de cultures nationales diverses. Il ne faut pas se laisser impressionner par le titre de l’ouvrage mais accueillir la singularité de la démarche. Le livre est sorti simultanément dans treize langues et propose quinze interventions de chercheurs, pour l’essentiel européens. Le but : réfléchir aux populismes, plus ou moins autoritaires : Erdoğan, Orbán, Modi, Trump, Poutine, le Brexit... La vie politique française se nourrit elle aussi de désenchantement et dysfonctionnements. Faire face au populisme, donc, lui qui simplifie à outrance les notions de peuple, de système politique et de besoins identitaires. Les auteurs entendent donner des clés de lectures symptomatiques d’une « grande régression ». De quoi celle-ci est-elle faite ? Citons les dimensions politiques qui montent telles que l’appartenance nationale, les promesses de sécurité ou de restauration d’une grandeur passée ; citons l’hystérisation de l’espace public, le manque de pragmatisme, de recul face aux événements...

Les auteurs appellent également à réfléchir à la globalisation auxquelles nos sociétés ont été mal préparées : « le capitalisme s’est affranchi des contraintes qui lui avaient été imposées par les Etats-nations ». On touche ici à la notion d’insécurité culturelle face aux conditions de la mondialisation, du sous-emploi durable, de la peur du déclassement, des bouleversements des frontières comme des repères politiques (qui décide de quoi ?) Cela peut provenir de représentations médiatiques, mais le ressenti est là. Et les écarts dans la société accroissent ce sentiment d’insécurité.

Les bouleversements de l’ordre du monde, celui de l’après-guerre froide, font peur. La démocratie libérale elle-même n’est plus sûre de pouvoir tenir : le pluralisme d’opinions, les associations intermédiaires, l’articulation des milieux sociaux, une éducation au service des citoyens : cela semble ne plus aller de soi aujourd’hui. Le radicalisme, le vote de protestation comme les forces réactionnaires se tentent, afin de se sentir à nouveau souverain dans des espaces virtuels, dans la vie réelle ou lors de l’élection : il faut dire que « nos sociétés se retrouvent confrontées à des problèmes qui résultent du manque de régulation politique de l’interdépendance globale ». Il revient ainsi d’élaborer, de penser, d’imaginer une alternative politique capable de susciter pleinement confiance. L’histoire n’est pas finie. Elle ne repasse pas non plus les plats des années trente. Regardons notre époque sans revanche ni peur ni nostalgie. Nous vivons un tournant, Wende comme les Allemands nommaient le processus de changement social et politique qui rendit possible la réunification. Un tournant.