L’époque n’est pas si lointaine où la question des libertés et droits fondamentaux dans l’entreprise ne revêtait, pour bien des chefs d’entreprise, rigoureusement aucun sens. « Dans l’entreprise, estimaient-ils, on n’est pas là pour bavarder, échanger ou débattre. Il y a des lieux pour cela…! ». Conséquence : le statut de citoyen se dissolvait dans celui de salarié.

On n’en est plus là, Dieu merci ! Longtemps hermétiques, les frontières de l’entreprise se sont insensiblement ouvertes à des pratiques de citoyenneté dont voici un riche panorama. Sa publication sous la signature de P. Waquet ne saurait surprendre. Chacun sait, en effet, sa contribution déterminante, en qualité de conseiller à la Chambre sociale de la Cour de cassation, à l’effectivité des libertés fondamentales enfin devenues un idiome presque ordinaire sur les lieux du travail. Clavaud, Néocel, Everite, Nikon… autant d’arrêts qui demeureront parmi beaucoup d’autres, attachés à l’œuvre résolue de ce passionné des droits de l’homme.

Dans le style limpide qui le caractérise, le Doyen Waquet ouvre son tableau par un classique rappel des « sources des libertés » dont on retiendra le paradoxal regain du contrat de travail dont il fut l’un des artisans. Par un très habile renversement d’analyse, cet acte plutôt tenu en suspicion par les salariés est, par touches successives, devenu un instrument de garanties pour le salarié par la vertu de l’obligation de loyauté du chef d’entreprise, d’adaptation et de reclassement spécialement en situation de difficultés, de respect du droit au repos et, dernièrement, de sécurité. Un vrai jiu-jitsu juridique !

La présentation des droits fondamentaux eux-mêmes s’organise en diptyque : ceux propres au droit du travail et les droits généraux, pour autant que l’on puisse nettement les dissocier.

Au titre du premier volet, P. Waquet passe en revue les libertés et droits collectifs (grève, liberté syndicale, participation au fonctionnement de l’entreprise) avant d’examiner les droits individuels plus tard venus : le droit à l’emploi mis à rude épreuve depuis une vingtaine d’années, le droit à la formation au contraire dopé par le récent accord interprofessionnel de septembre et le droit à l’expression et à la santé. Relativement à ce dernier, l’auteur insiste sur la consistance nouvelle du « droit au repos », « droit fondamental du salarié, destiné à assurer sa totale indépendance par rapport à son employeur » qui concerne tout spécialement les cadres dans sa modalité de droit à la déconnexion (portables…).

Au titre des seconds, il s’intéresse non seulement au régime des libertés générales mais aussi aux principes d’égalité et de dignité. De ce point de vue, les avancées les plus notables de la dernière décennie se rapportent à la fois à la garantie de la liberté d’expression (y compris celle des cadres) et à l’introduction de la notion de « vie personnelle » plus extensive que la traditionnelle « vie privée » et, partant, plus protectrice pour les salariés dès lors qu’y sont inclus non seulement tout ce qui a trait à l’intimité mais aussi les manifestations sociales, publiques des choix personnels politiques, religieux ou autres. L’auteur porte non moins attention à la jurisprudence émergente relative au harcèlement moral.

Le tableau ne serait pas complet s’il s’en tenait à la seule proclamation des libertés sans rappel des conditions de légalité de leurs limitations. Dans l’entreprise, comme ailleurs, le discours des droits fondamentaux est assez largement celui de leur coexistence souvent tendue, voire conflictuelle. Et tout le problème est de savoir quand et pourquoi l’employeur peut, le cas échéant, y apporter des restrictions. D’où le rôle régulateur de l’article L 120-2 introduit en 1992 qui en indexe la légitimité sur « la nature de la tâche à accomplir » et la proportionnalité « au but recherché ». Un texte désormais central auquel l’auteur consacre de substantiels développements.

Un livre très précieux sur un champ particulièrement sensible qui demeure, en effet, « un chantier pour l’avenir » dont les progrès seront conditionnés par la capacité à reconnaître la positivité du conflit des opinions comme des intérêts.

Achevé d’imprimer en octobre 2003 sur les presses de l’imprimerie L’Artésienne à Liévin (62). La directrice de la publication, Anousheh Karvar