Certains considèrent l’euro comme responsable de tous les maux (économiques, sociaux, politiques et notamment de la hausse des prix en oubliant que l’euro est une monnaie qui indique le montant qui lui est attribué pour un bien ou un service). Certains politiques souhaitent même le voir disparaître et remplacé par une monnaie nationale. D’autres, en revanche, ont une approche beaucoup plus positive vis-à-vis de cette monnaie et ne peuvent pas s’imaginer la création d’une véritable Europe sans cet euro.

Pour voir plus clair en la matière et pouvoir se forger une idée saine, la lecture de L’Euro est-il un échec ?, dont la deuxième version vient être publiée, apporte une aide incontestable.

Michel Dévoluy, professeur à l’Université de Strasbourg, à la Chaire Jean-Monnet d’économie européenne, et co-responsable de l’Observatoire des politiques économiques en Europe, consacre les cinq parties de son livre à cette monnaie.

Après avoir souligné dans l’introduction que « d’un point de vue technique l’euro a été une réussite incontestable » et qu’il « s’est même imposé progressivement comme une monnaie internationale de référence », l’auteur traite successivement de cinq questions.

Premièrement, du pourquoi de l’euro. En effet, au commencement de la construction européenne, rien de concret n’a été prévu dans le domaine monétaire, mais l’union douanière a fait comprendre la nécessité d’une monnaie unique. Par conséquent, l’auteur présente une analyse de la genèse de la monnaie unique et des gains escomptés d’une telle monnaie puisque « la création d’une monnaie unique au sein de la Communauté économique européenne a été justifiée par ses partisans en raison de ses avantages supposés. » ; ces gains étant essentiellement de deux ordres, à savoir économique et politique (la constitution d’une identité collective).

Ensuite, de ce qu’il appelle « une entreprise exigeante », à savoir « toute démarche d’intégration monétaire ». Il souligne notamment dans ce contexte que la réalisation d’une monnaie unique implique « l’instauration d’un système bancaire hiérarchisé avec une banque centrale au- dessus des intermédiaires financiers bancaires ». Il est évident qu’un Etat qui utilise cette monnaie perd deux instruments de sa politique économique, le taux de change et la politique monétaire. Pour que la réalisation d’une monnaie unique soit couronnée de succès, plusieurs conditions théoriques, bien explicitées par l’auteur, doivent être réunies ; on lira aussi avec intérêt les critères économiques et les critères sociaux et politiques d’une zone monétaire optimale.

Il revient ensuite sur la question des choix de l’Union (notamment en matière de politique économique) lors de la mise en place de l’euro. En matière doctrinale, référence est notamment faite aux racines libérales (imprégnées d’ordo-libéralisme). Du point de vue des décisions politiques, l’architecture monétaire européenne est définie dans le rapport Delors qui précise les éléments constitutifs d’une Union Economique Monétaire ; ces éléments d’ordre économique et monétaire étant largement repris dans le Traité de Maastricht de 1992. Le rapport Delors insiste sur la nécessité de la stabilité des prix (ce qui est tout à fait évident pour un Allemand mais difficile à comprendre pour un Français) et d’une banque centrale indépendante. Le passage à l’euro en diverses étapes, comprend la fameuse convergence économique et monétaire et la perte d’autonomie des banques centrales nationales au profit de la BCF dont le rôle (fonctions, objectifs) est bien explicité par l’auteur.

Il s’intéresse ensuite au bilan de treize années passées avec cette nouvelle monnaie, considérée comme une réussite sur le plan technique. Mais l’auteur précise qu’« un inventaire sur la monnaie unique doit également souligner les performances macroéconomiques médiocres de la zone euro » et que « comme vient de le démontrer la plus grave crise économique d’après guerre, la zone euro est mal armée pour faire face à ce type de situation ».

Il termine ce tour d’horizon par la question du maintenant et de l’avenir. Devoluy montre une piste alternative qui pourrait être exploitée : « elle s’appuierait sur une lecture keynesienne du fédéralisme économique et partirait du postulat que les Européens aspirent à une société plus solidaire et à une Europe plus forte dans la géopolitique mondiale ». Dans ce contexte, Devoluy aborde des questions relatives au problème d’un gouvernement économique européen, vu notamment à travers ce qu’il nomme « la grande récession », à des réformes des traités avec le pour ou le contre de la règle d’or, et à des alternatives qui se présentent, à savoir : sortir de l’euro, restructurer les dettes souveraines, les mutualiser et finalement instaurer un « fédéralisme tutélaire » (qui dépolitiserait « la zone euro tout en maintenant une démocratie formelle à l’échelle européenne »). Il revient aussi au problème du fédéralisme économique et social qui constitue une voie plus ambitieuse. En débattant de cette problématique, l’auteur insiste - comme il l’a fait à de multiples reprises et notamment en 2009 (La crise : Keynes oui, mais tout Keynes), et en 2011 (Pour un fédéralisme économique et social) - sur la nécessité d’une « planification fédératrice » dont la mise en place permettrait de consolider l’Europe monétaire. Il y a particulièrement lieu de souligner – et ceci est très important pour les économistes allemands appartenant à l’économie sociale de marché – que la notion de planification n’a rien à faire avec les systèmes centralisateurs. En effet, le versant planification de cette notion s’articulerait autour de quatre axes : un système financier régulé, un rôle accru pour la BCE, et une politique industrielle de l’Union et une politique agricole bien définie. Le versant fédérateur repose quant à lui sur la constitution d’un gouvernement économique émanant directement du Parlement européen, à savoir un budget européen, un socle démocratique et un pacte social.

En conclusion de son livre, Michel Devoluy souligne que « l’euro est entré, avec cette grande récession, dans une zone d’intenses turbulences ». Il y a des réformes déjà décidées et des discussions ouvertes. La solution à long terme, bien explicitée par l’auteur, est « la planification fédératrice », soumise à deux conditions : que l’Union sorte de l’ordo-libéralisme et qu’elle accepte une unification politique plus poussée. En tout état de cause, il faut bien garder à l’esprit que « l’euro n’est pas qu’une simple construction économique, c’est un projet politique ».

A l’heure actuelle, pour comprendre toutes les discussions autour de cette monnaie, la lecture de ce livre s’impose à tout citoyen responsable, spécialiste de la problématique traitée ou tout simplement souhaitant la comprendre. Avec une connaissance exemplaire de la matière et un don pédagogique acquis au cours de nombreuses années d’enseignement universitaire, Michel Devoluy permet au lecteur d’acquérir les connaissances nécessaires permettant de participer d’une manière constructive à un débat économique et politique autour de cette monnaie, qui nous préoccupera encore un certain temps.

Cette acquisition de connaissances est d’autant plus facilitée que le livre contient dans des rubriques « Gros plan sur » des notions, des instruments, des informations et des explications qui permettent de mieux comprendre ce que ces notions et instruments veulent dire. Ainsi sont explicités par exemple l’Ecu, le policy mix, l’ordo-libéralisme, les organes de décisions de la BCE, le Fonds européen de stabilité financière, ou encore la restructuration partielle de la dette grecque. Des textes pertinents de certains articles du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) sont également reproduits, dont l’article 130 qui est fondamental pour l’indépendance de la banque centrale européenne ou des banques centrales nationales.