Cet autre petit livre complète très heureusement le précédent. En amont du questionnement politique, il s’interroge sur la nature et la portée de la culture individualiste devenue la respiration normale de notre société par achèvement du processus amorcé en 1789.

Singly refuse la posture habituelle de censeur pour souligner au contraire le riche potentiel de cette considérable mutation. Il refuse en particulier d’opposer terme à terme l’individu et le social comme s’il s’agissait de réalités aussi incompatibles que l’eau et le feu. Contrairement à l’apparence, estime-t-il, dans notre société actuelle il n’y a pas moins de social que précédemment et il ne se porte pas plus mal qu’auparavant. Il se présente, tout simplement, selon une physionomie reliftée qui fait une part inédite aux « liens plus personnels, plus électifs, plus contractuels ». En sorte que « la reconnaissance interpersonnelle est centrale » là où prévalaient antérieurement les grandes appartenances dans un cadastre sociologique net et stable. Sur cette question de la reconnaissance, cf. outre le dernier livre de Paul Ricoeur, Parcours de la reconnaissance (Stock, 2003), l’ouvrage de Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale. Redistribution et reconnaissance (La Découverte, 2003), et dans le domaine du management le collectif publié aux Editions d’organisation sous la direction de Jean-Marie Peretti, Tous reconnus.

C’est justement l’exigence de reconnaissance de chacun par chacun qui requiert, si l’on veut faire société, que la particularité trouve son contrepoint dans un principe universalisant fondant l’unité de la famille humaine. « Puisqu’il n’y a pas de nature, s’interrogeait Sartre, comment conserver dans une histoire qui change constamment assez de principes universels pour pouvoir interpréter, par exemple, le phénomène de Spartacus ? » La réponse réside pour Singly dans l’alliage de deux variantes de l’individualisme, absolument complémentaires : l’individualisme abstrait capable de transcender les différences et le concret faisant ressortir le génie propre de chacun. Bref, « l’individualisme ne peut être humanisme que s’il parvient à conserver un certain équilibre entre l’individu abstrait et l’individu concret », entre le masque et le visage.