La scène se passe il y a quelques années, dans un restaurant : une de ces enseignes franchisées où chacun a dîné une fois ou deux. Un hasard m’a conduit à y passer trois soirées d’affilée, et à la troisième je m’aperçois que le programme musical est exactement celui que j’ai subi les soirs précédents. Un gérant peu imaginatif ? Un maître d’hôtel maniaque ? Interrogé, le serveur lève les yeux au ciel : « Ah, monsieur ! Mais nous n’y pouvons rien, et même le directeur n’y peut rien. Tout est réglé depuis le Siège. »

Le travail saisi par la norme

Ce n’est d’ailleurs pas ce « Siège » qui nous intéresse ici, et cette anecdote a surtout pour objet de donner une idée de l’extraordinaire précision avec laquelle le monde professionnel, notamment dans le secteur des services, voit quelquefois ses conditions et ses méthodes de travail codées et prescrites. Quiconque a déjà entendu un malheureux téléopérateur se débattre avec un script inepte et mal écrit peut s’en rendre compte. Ce n’est pas que l’art du bricolage professionnel, des petits trucs personnels et des libertés prises avec la règle ait disparu, bien au contraire. Mais pour nombre de métiers, son espace s’est réduit, il ne s’exerce plus que dans les marges et entre les lignes des procédures, des démarches qualité, des contrôles et procédures de sécurités, des manuels et des scripts. A l’heure où le thème de l’autonomie a envahi les livres de management, où le taylorisme semble un lointain souvenir, le travail prescrit revient en force.

Les cadres peuvent bien sûr avoir l’impression de passer entre les gouttes, même si, curieusement, les multiples opérations de reporting leur prennent de plus en plus de temps. Mais ils vivent eux-mêmes dans un cadre défini par des règles juridiques et des méthodes d’organisation de plus en plus présentes, un cadre opti