L’Europe est entrée dans une période économique morose, entre croissance faible et risque de récession, qui pourrait durer longtemps. Contraction monétaire, déflation, faillites bancaires, voire dépression ne sont plus inévitables. Les plans d’austérité nationaux, palliatifs à une stratégie commune européenne, aggravent la situation. Alors que les Etats-Unis ont poursuivi une politique de soutien à la croissance et de réduction de la dette privée, les pays de la zone euro ont entamé une politique de désendettement public rapide. La crise n’a pourtant pas seulement une origine extérieure outre-Atlantique : elle a révélé les limites de l’intégration européenne d’avoir bâti une monnaie unique sans politique monétaire commune. L’actualité grecque le rappelle. La Grèce n’est pas le mauvais élève de l’Europe mais le pays dont l’économie est la plus fragile. Elle n’aurait jamais pu s’endetter comme elle l’a fait sans son entrée dans la zone euro, par ailleurs acceptée alors qu’elle ne respectait pas les critères de Maastricht.

André Grjebine, directeur de recherche au Centre d’études et de recherches internationales à Sciences Po, plaide pour une politique décisive. Non, l’austérité budgétaire n’est pas inévitable. Oui, il y a des alternatives économiques crédibles. Elles sont audacieuses mais rigoureuses. Il appelle à « une action en profondeur pour améliorer les structures socio-économiques, en tentant de desserrer les blocages de la société, en réformant la formation des salariés, en lançant une nouvelle politique énergétique, en favorisant la recherche et l’innovation » plutôt que d’agir à court terme sous la domination de la dette en réduisant les coûts de production. Il lui paraît difficile, dans une conjoncture déprimée, d’accroître l’endettement privé (crédit à la consommation) tout en réduisant la dette publique aussi vite que possible. C’est restreindre les facteurs de croissance à long terme que sont l’investissement, l’éducation et la recherche.

Dans cette optique, la priorité absolue est de lever l’hypothèque que le surendettement public de certains Etats fait peser sur la croissance de la zone euro. Evacuons donc la dette : créons un système monétaire sans endettement. A. Grjebine reprend les travaux de création monétaire développés par des économistes aussi différents que Milton Friedman, Irving Fisher ou James Tobin. La monétisation n’implique pas forcément une augmentation massive de la masse monétaire pour éviter une poussée inflationniste. La création monétaire par la Banque centrale européenne (BCE) se fait au profit des Etats pour les désendetter, ce qui permet aux banques de se concentrer sur le soutien à l’économie réelle. Il faut éviter que l’abondance monétaire serve à financer la distribution de dividendes, le rachat de leurs propres actions par les entreprises ou l’investissement dans des placements improductifs (immobilier, spéculation…).

La monétisation d’une grande partie des dettes publiques et leur transfert vers la BCE devront être suivis d’un rallongement conséquent des échéances de remboursement. A. Grjebine y voit « une sortie durable de la crise » à condition d’en faire le choix politique au-delà de l’esprit des traités européens. En se lançant début 2015 dans un gigantesque plan de rachat de dettes publiques de chaque Etat, la BCE n’a-t-elle pas fait « un premier pas décisif pour réduire le blocage qui paralyse certains Etats et condamne la zone euro à la déflation » ? Le quantitative easing (QE), version moderne de « la planche à billet », a ses conditions. Le néophyte trouvera dans cet ouvrage une leçon de macro-économie. Le citoyen y verra un livre politique. Alors que patine le débat sur la capacité budgétaire européenne et la mutualisation par eurobonds, il est d’un optimisme convaincant.