15 juillet 2018, la France entière célèbre la victoire de son équipe en finale de coupe du Monde de football. Pour la deuxième fois, vingt ans après 1998, les Bleus sont sur le toit du monde. La deuxième étoile est acquise et la fête va durer jusqu’au bout de la nuit. Pourtant, personne, un mois plus tôt, n’avait pu prédire ce succès. Les hommes de Didier Deschamps étaient moqués, vilipendés, ridiculisés. Des sondages affichaient d’ailleurs une méfiance sans pareil : à quelques heures du début de la compétition, 60 % des Français interrogés ne voyaient pas l’équipe de France remporter la coupe. Pis, la fédération elle-même ne pronostiquait pas plus qu’une demi-finale et avait d’ores et déjà fixé un budget, pour la saison 2018-2019, sur une place de quart de finaliste. Autrement dit, personne ne croyait en l’équipe de France.

Personne sauf Didier Deschamps. Ce dernier, durant le mois de juin, resta hermétique aux critiques et ne pensait qu’à une seule chose : gagner, entrer dans l’histoire, remporter, en tant que joueur et en tant que coach, la compétition de football la plus prestigieuse. On remit en cause ses choix, on discuta les joueurs sélectionnés, on ironisa sur le jeu proposé, mais rien n’y faisait, l’ancien joueur de l’Olympique de Marseille et de la Juventus de Turin maintint ses idéaux et affirma ses prises de position.

Petit à petit, l’équipe se mit à tourner, on parvient à battre difficilement des équipes supposées largement plus faibles, l’Australie, le Pérou, on afficha un niveau pathétique face au Danemark, rencontre d’ailleurs jugée « pire spectacle de la coupe du Monde 2018 » mais l’élan se poursuivait et les Bleus de Deschamps avançaient sans heurt et sans faille. Jusqu’au titre final, jusqu’à la plus belle nuit de juillet 2018. Grâce à la puissance et à la force de persuasion de Didier Deschamps, grâce à la force du collectif meilleure que les individualités, les Bleus soulevèrent ce titre ultime, après un succès quatre buts à deux contre la Croatie de Luka Modric, élu meilleur joueur de la compétition.

La coopération avant la rivalité

Un cas sans pareil qui peut, à lui tout seul, illustrer les plus grandes théories managériales. L’une d’elles, en particulier, doit tout particulièrement nous intéresser : au sein d’un groupe, au sein d’une équipe, ce n’est pas la somme des individualités qui prime mais la capacité à dégager une force collective. C’est la vision holistique du management, cher au sociologue français Emile Durkheim (1858-1917). « Le tout n’est pas réductible au jeu des parties ».

Dit autrement, cela revient à considérer qu’un groupe, s’il est bien rodé, s’il est bien structuré, s’il est bien conduit, sera toujours meilleur que les individus qui le constituent. Dans ce cadre, l’équipe de France de Didier Deschamps sera d’abord définie pour et par elle-même, elle ne sera pas la résultante d’un assemblement artificiel de ses membres. Le manager holiste sera chargé de définir la vision de l’équipe, quels que soient les joueurs qui la constituent, sans que cela n’ait d’incidence sur le jeu et l’état d’esprit. Il n’agira pas de façon individualiste, par bloc, en estimant que chaque joueur a sa part à prendre, doit acquérir sa liberté sans aucune influence sur le reste du groupe. Dans la vision managériale holistique, tous les membres sont interdépendants, tout le monde est important et tout le monde a un rôle à jouer sur l’objectif final. Du simple remplaçant au titulaire indiscutable, du préparateur physique à l’adjoint principal, les joueurs et le staff ont ensemble un rôle primordial et essentiel.

De cette façon, les faiblesses épisodiques de quelques-uns seront toujours compensées par la force de quelques-autres. Chez les Bleus, si Griezmann passe à côté de son mondial, ses coéquipiers seront là pour le soutenir et rattraper son déficit, si Mbappé n’arrive pas à enchaîner des matchs sensationnels, ses collègues seront là pour marquer à sa place, si Pogba n’est pas indiscutable au milieu de terrain, il pourra toujours se protéger derrière la défense en bloc de l’équipe. Tous les coéquipiers sont unis, solidaires et dégagent une même philosophie, un même cap. De cette façon, la force est décuplée et les résultats apparaissent.

L’union avant la compétition, la solidarité avant la concurrence, la coopération avant la rivalité. A l’échelle d’une entreprise, c’est la même chose : participez, coopérez, entraidez-vous si vous voulez aller le plus loin possible, gagner et toucher le toit du monde. Comme les Bleus en quelque sorte.

Cette vision est confirmée par la théorie gestaltiste forgée par le psychologue allemand Wolfgang Köhler. Elle suppose que « la force collective est plus importante que la somme des forces de chaque participant ». La clef ? L’enthousiasme, l’effort et la persévérance sont décuplés par le collectif. Comme avec la France, où le manager général, Didier Deschamps, a réussi à instaurer une ambiance saine et positive, a intensifié les rapports humains, l’entraide et l’altruisme, a su fixer au bon moment des objectifs précis et atteignables, étape par étape, et a bouleversé une vision individualiste du sport au profit d’un idéal collectif et homogène. Ces codes et ces valeurs ont fonctionné pour les Bleus. Pourquoi ces recettes managériales ne fonctionneraient donc pas dans le monde de l’entreprise ?