« On a longtemps pensé que l’emploi était le remède à la pauvreté, explique Denis Clerc, mais ce n’est plus le cas ». La lente décrue du chômage laisse apparaître une résurgence de la question sociale, non plus sous la forme massive des bataillons de chômeurs formés il y a quelques décennies par la désindustrialisation, mais sous celle, plus insidieuse, de la précarité et du sous-emploi. Temps partiel contraint dans la grande distribution ou les services en général, jobs temporaires entrecoupés de périodes de chômage dans l’industrie, les nouvelles formes d’emploi fait plonger dans la pauvreté nombre de travailleurs et de foyers. À qui la faute ? Tendance lourde des économies modernes, cet effritement de la relation d’emploi ne saurait être mis au crédit du seul patronat, même si celui-ci y trouve son compte. C’est en réalité le produit d’un compromis social forgé sous l’égide de l’État depuis les années 1980 : la lutte contre le chômage de masse a pris dans notre pays la forme réglementaire d’une multiplication des contrats aidés, auxquels se sont joints des allègements de charge qui ont contribué à créer des trappes à bas salaires. Le gel des salaires associé aux 35 heures a parfois alourdi la note.

Au total, un ensemble de politiques publiques procédant généralement de bonnes intentions a conduit à une prolifération de formes d’emploi mal rémunérés et peu sécurisés ; un résultat qui n’est pas sans rappeler celui, obtenu à moindre coût et avec des intentions différentes, des politiques de dérégulation menées au Royaume-Uni de Margaret Thatcher. « En prêtant main-forte à la création d’emplois paupérisants, écrit Denis Clerc, l’État a sacrifié la qualité de l’emploi à la quantité et aggravé le problème au lieu de le réduire. »

L’ouvrage pose un diagnostic sans concession, étayé par des comparaisons européennes qui permettent, sans pour autant suggérer que tout est rose chez nos voisins, la spécificité des impasses françaises en ce domaine.

Comment en sortir ? D’abord en faisant nettement apparaître un phénomène parfois gommé par les statistiques les plus souvent présentées dans les médias ; c’est ce que fait fort bien Denis Clerc. Ensuite en rappelant l’importance stratégique d’une évolution, dans un contexte marqué par les défis de la mondialisation mais aussi du vieillissement démographique : il est urgent de former, de qualifier, de remettre en mouvement ceux que le marché et notre système social ont contribué à tenir aux marges du salariat.

Le revenu de solidarité active expérimenté en ce moment est assurément une pierre de touche de cette réorientation des politiques sociales et des aides à l’emploi ; mais Denis Clerc insiste sur le fait qu’il serait dangereux d’en faire une simple dragée enrobant « la pilule du mauvais emploi » : l’enjeu principal est de relancer des parcours, de mettre les personnes en mouvement – un mouvement aussi assuré que possible – non de les immobiliser dans de nouvelles formes d’assistance.

La notion-clé, développée dans le cinquième et dernier chapitre, est celle d’un « investissement social », c’est-à-dire d’une autre conception de la dépense, non pas à fonds perdu mais avec l’idée de conférer une valeur aux récipiendaires.

La visée d’un tel investissement a pour elle une forme de rationalité économique, mais aussi une ambition humaine redonnant au « social » ce qu’il a de meilleur : un idéal d’émancipation et non plus de survie, assurant le présent pour permettre à chacun de se projeter dans l’avenir, de construire son autonomie, de maîtriser son destin. Les militants de la CFDT se retrouveront sans doute dans ce livre clair et ambitieux ; quant aux politiques de tout bord, ils gagneraient à le lire.