Pour Paul Vignaux, « la raison foncière d’être du syndicalisme est que l’ouvrier, par l’association, a une place de plus en plus grande dans la vie économique et parvient, ou tend à parvenir, à discuter librement et d’égal à égal avec celui qui l’emploie »1. Le projet syndical est celui de l’émancipation professionnelle. Il ne travaille pas seulement les conditions d’emploi même si le syndicalisme est né du monde industriel et salarial. Il s’appuie sur la négociation collective même si celle-ci est récente à l’échelle de son histoire.

Dans un monde aux entreprises et aux trajectoires instables fait de soubresauts économiques, se satisfaire de droits globaux et de protections uniformes ne suffit plus. Il faut lutter contre le sous-emploi de chacun de nous, valoriser l’activité de travail souvent mal reconnue ou difficilement perceptible. Ne plus seulement agir pour tous mais également s’engager pour chacun, comme le signe désormais la CFDT.

Car la somme des intérêts individuels ne fabrique pas de l’intérêt général. Il faut partir de problèmes concrets et ne pas les quitter, c’est-à-dire faire avec. Partir de la réalité vécue dans les organisations productives et chercher des réponses en prenant garde à la montée en généralité et à la seule réponse par la norme.

Faire de l’émancipation, ce n’est pas faire à la place du salarié mais l’épauler sur son chemin. Lui offrir les conditions d’agir lui-même, de donner son avis, d’apporter des appuis effectivement négociés. Ne pas s’en remettre entièrement à l’Etat, ni à la vague espérance d’un grand soir. Mettre un peu de distance critique avec la société de consommation.

Les syndicalistes n’ont pas le monopole de l’action citoyenne, loin de là. Nombre d’associations de qualité ont fait de la société civile aujourd’hui un champ d’action et de partages. Mais bien peu ont pour objet ce qui fait le quotidien de presque chacun de nous : l’aspiration à travailler, à développer ses compétences, à voir son ouvrage reconnu, à participer à la marche du monde.

Regardons ainsi les militants comme des salariés qui choisissent précisément la liberté professionnelle, le respect des divergences d’intérêts et l’efficacité collective. Nous relatons ici des parcours singuliers. Des citoyens qui prennent du recul pour aborder la complexité, qui s’arment de convictions pour garder leur libre-arbitre, et organisent le partage des analyses. Finalement, ne sont-ils pas simplement de bons professionnels ?

Il y a ce qui les occupe : les obligations à négocier, le développement syndical, les débats internes, la gestion quotidienne... Et il y a ce qui les préoccupe, ce qui est profond et dépasse l’imagerie médiatique. Le salarié a tout intérêt à soutenir celles et ceux qui ont fait le choix du compromis (faire mouvement à deux), de la coopération et de la confrontation avec d’autres, précisément parce qu’ils considèrent l’entreprise comme un espace commun. Ils bâtissent collectivement des règles justes et des appuis qui reconnaissent et responsabilisent l’individu.

Nous avons choisi de partager aux lecteurs une bonne partie de ce qui préoccupe la CFDT Cadres à l’heure où celle-ci change de pilote. Jean-Paul Bouchet, engagé dans son équipe nationale depuis près de vingt ans et secrétaire général depuis 2009, poursuit sa route aux côtés de Laurent Berger et de la CFDT. Une revue de transition et de transmission qui rappelle que l’avenir vient de loin et qu’il est avant tout fait de nos choix personnels et collectifs.

1 : Cité dans Cécile Guillaume (ss. dir.), La CFDT : Sociologie d’une conversion réformiste, PUR, 2014.