« Travailler à bien penser, c’est le principe de la morale ». Edgar Morin a fait sienne, dès le début, la maxime de Pascal. On n’est donc pas surpris de l’élargissement du fleuve éditorial inauguré il y a près de soixante ans en éthique conclusive du grand œuvre, La Méthode, dont elle constitue le sixième volume. De « l’éthique de la pensée » à la « pensée de l’éthique », la ligne était tracée.

Le philosophe qu’il n’a jamais cessé d’être propose dans des pages vibrantes de sincérité, d’humanité et de confiance, un chemin de sagesse accordé à sa pensée soucieuse de la complexité. « L’éthique est complexe parce qu’elle est de nature dialogique et doit affronter souvent l’ambiguïté et la contradiction ». Tout est dit d’une exigence de compréhension du monde, des hommes s’interdisant de simplifier, de ramener la profusion du réel à quelques facteurs simples fonctionnant généralement sur un mode dualiste toujours guetté par le manichéisme. Or, la pensée n’a pas pour mission d’exclure mais de tenir ensemble tout ce qui fait le monde des hommes dans un effort incessant, harassant non de résoudre les contradictions et conflits mais de les inscrire sur un fond qui leur donne sens. Ainsi, par exemple, de la démocratie vouée à une éternelle tension qui la menace autant qu’elle la régénère. Car, explique-t-il, la mort est aussi la vie. « Vivre de mort, mourir de vie » disait Héraclite ainsi commenté par Morin : « le mal de la mort est utilisé pour le bien de la vie, sans cesser d’être le mal de la mort ». Et c’est là-dessus qu’il fonde son « espérance » appuyée à la conviction qu’« il y a du possible encore invisible dans le réel ». Croire que quelque chose peut encore advenir qui nous sauve du désespoir, envers et contre tout, voilà une belle leçon de sagesse que n’auraient désavoué ni Péguy dans son éloge de la « petite espérance de rien du tout, la petite fille espérance », ni Emmanuel Mounier (fondateur de la revue Esprit), dont on commémore cette année le centenaire de la naissance, qui avait fait le choix de l’« optimisme tragique ».

Car nous en sommes tous là : décider, choisir, opter, « s’engager » comme on disait autrefois, dans le clair-obscur des situations, sans savoir si le choix est le bon, souvent tenaillés par le doute. Car tout choix exclut et, en cela, coûte. Mais, à l’inverse, le non-choix, l’abstention, l’indifférence voire le cynisme arrogant des « revenus de tout », quelle désolation ! Morin a fait son choix et je peux certifier qu’il respire la joie de vivre dans un bonheur léger où se reconnaît le détachement du vrai sage.