Les progrès de la science laissent aujourd’hui nos sociétés face au sentiment d’être à la croisée des chemins : des ruptures technologiques sont annoncées (nano-technologies, biologie de synthèse, etc.) au moment où nos modèles de croissance économique semblent voués à se heurter aux limites physiques et environnementales de la planète. Alors que se multiplient les débats quant au modèle de développement le plus souhaitable, en quoi la science-fiction et les regards qu’elle porte sur notre société peuvent-ils enrichir la réflexion ? En explorant la façon dont elle a évolué depuis sa naissance au dix-neuvième siècle, il apparaît que la science-fiction est un révélateur de notre rapport à la technologie et, au-delà, de notre rapport à l’autre. En témoignent les nombreuses interrogations sur ce qui nous définit en tant qu’humains, dans des œuvres telles que Blade Runner (P.K. Dick, 1966), Ghost in the Shell (M. Shirow, 1989), ou encore Le Cycle des robots d’I. Asimov. De fait, les œuvres de science-fiction sont indissociables du contexte socio-économique dans lequel elles ont été produites. Elles sont le reflet des questionnements de leurs contemporains, de leurs craintes et de leurs espoirs, projetés dans un monde futur ou dans un présent alternatif. Peur de l’apocalypse nucléaire (La Planète des singes, Schaffner, 1968), prise de conscience de la finitude des ressources (Soleil vert, H. Harrison, 1966), questions éthiques soulevées par les biotechnologies (Bienvenue à Gattaca, Niccol, 1997) ou encore angoisse d’une catastrophe climatique (Le Jour d’après, Emmerich, 2004) trouvent ainsi un écho au fil du temps dans la littérature et le cinéma d’anticipation. La palette de scénarios que la science-fiction explore constitue un véritable outil de réflexion sur les futurs possibles de nos sociétés. En poussant les questionnements au plus loin de leurs conséquences logiques ou réalistes, et en adoptant des hypothèses audacieuses, elle permet d’enrichir la réflexion prospective. Ces récits ne sont pas des tentatives de prédire l’avenir, mais une occasion offerte de mettre à l’épreuve différentes trajectoires de développement futures. La science-fiction révèle un certain nombre de défis que nos sociétés devront relever, dont certains sont particulièrement prégnants aujourd’hui : crainte de la pénurie des ressources, angoisse du changement climatique, ou encore impact des applications des biotechnologies à l’homme (augmentation des capacités cognitives, clonage, etc.) ou à son environnement (OGM, etc.). Entre projection prospective et songe romanesque, les récits de science-fiction ont ainsi leur place dans la réflexion collective sur nos choix d’avenir.

Par-delà sa fonction de thermomètre d’une époque, la science-fiction peut servir de véritable instrument de réflexion et de questionnement des modèles de développement de nos sociétés. Ces récits ne sont jamais des tentatives de prédire l’avenir, mais sont souvent une occasion d’envisager différents modèles de développement futurs. C’est une exploration qui permet au travers de ses différents récits – et bien souvent au sein d’un même récit – d’aller au bout des questionnements et de mettre à l’épreuve des éléments de futurs possibles : disparition de ressources naturelles, pandémies grippales, catastrophes climatiques. Ouvrant un champ de réflexion beaucoup moins contraint que les exercices classiques de prospective, la science-fiction permet de pousser au plus loin les conséquences logiques de choix scientifiques, technologiques et sociétaux. Les récits mettant en scène des hommes « augmentés » qui apprennent à maîtriser puis à modifier leur environnement renvoient ainsi aux questionnements soulevés dans le « monde réel » par les possibilités technologiques qu’ouvrent les nanotechnologies ou la géo-ingénierie. La science-fiction a par ailleurs préfiguré un certain nombre de débats très actuels, sur le clonage ou le génie génétique par exemple. Ni prédiction ni divagation, la science-fiction est un matériau considérable de réflexion pour la prospective. Elle pourrait aider à sortir des scénarios tendanciels et à imaginer des évolutions de rupture de nos sociétés… pour mieux les éviter ou, au contraire, mieux les atteindre. Selon Albert Einstein : « L’imagination est plus importante que la connaissance. Car la connaissance est limitée, tandis que l’imagination englobe le monde entier, stimule le progrès, suscite l’évolution. »

Source : Centre d’Analyse Stratégique, « La science-fiction, du miroir de nos sociétés à la réflexion prospective », Note d’Analyse n°311, déc. 2012. Le CAS est devenu France Stratégie en avril 2013 : www.strategie.gouv.fr.