On a l’impression, depuis la France, d’assister à la fin de « l’état de grâce » : Lula demande aux travailleurs de prendre patience, mais on commence à entendre des contestations. Quelle est sa marge de manœuvre ?

Pour comprendre correctement la conjoncture actuelle au Brésil, il faut souligner plusieurs aspects qui ont marqué les derniers jours du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. A ce moment-là, les indicateurs économiques montrent une situation presque catastrophique, menaçant directement la stabilité économique et politique du pays. Or, cette stabilité économique était le point le plus fort du gouvernement Cardoso, son principal atout électoral. La stratégie du Parti des travailleurs (PT), le parti de Lula, est de s’emparer de ce thème en le raccordant à l’idée du changement : tout en menant des actions socialement très significatives, comme la réforme agraire, le gouvernement Lula va respecter tout les contrats, le paiement de la dette extérieur, de la dette interne, etc. Les changements ne seront pas brusques, le nouveau gouvernement va respecter « la règle du jeu ». S’il vise explicitement à se dégager du modèle « tout libéral », c’est en menant une politique de croissance économique et surtout une politique de l’emploi. C’est ainsi que Lula a pu construire pour gagner les élections un arc politique très large, intégrant non seulement les partis du centre-gauche mais aussi de larges pans des partis de droite.

Il ne faut pas en conclure que cette coalition politique est ingérable, car le projet reste très cohérent. Mais les réformes annoncées mettront à mal, c’est sûr, les avantages corporatistes de certaines classes – comme les hazenderos, les grands propriétaires fonciers – et de certaines catégories, comme les fonctionnaires, qui ont été littéralement « clientélisées » par certains des gouvernements passés.

L´état de grâce politique du gouvernement est sans doute presque fini, mais sa marge de manœuvre est loin d’être épuisée, bien au contraire : il a rétabli la stabilité économique, et il s’est avéré apte à gérer non seulement l’économie, mais aussi le système financier – ce qui n’était pourtant pas dans sa culture. Les contradictions qui émergent sont surtout liées à la stagnation économique : la crise est maîtrisée, mais on attend la relance. Indépendamment de la crise qui affecte en ce moment l’économie mondiale, le principal obstacle à cette relance semble être l´inflation, qui a atteint les 30% en 2002 : l’objectif est de passer en 2003 à un chiffre légèrement inférieur à 9%, pour atteindre 5,5% en 2004. Le taux de chômage reste très élevé, autour de 20%. Quant aux réformes, les principales sont la réforme agraire, celle des retraites, sur laquelle le gouvernement a dû batailler cet été, celle de la fiscalité, et celle du droit du travail – mais cette dernière, comme celle des retraites, est très délicate à mettre en œuvre car elle risque de rogner les droits des employés du service public, qui constituent l’une des bases électorales du gouvernement. Un forum national tripartite s’est réuni pour la première fois le lundi 28 juillet 2003, pour discuter de la réforme du droit syndical et commencer à négocier le droit du travail.

Les investisseurs étrangers, en tout cas, semblent convaincus et rassurés. Cela se traduit-il déjà sur le plan économique ?

Pas encore. Les investissements étrangers sont attirés par les taux d´intérêts et la stabilité économique et politique. Les taux d´intérêts restent aujourd’hui très élevés, d’environ 26% par mois, ce qui représente presque 200% par an : le système financier s’en trouve bien, mais pas l’économie. C´est une critique formulée par les entrepreneurs, d’ailleurs : ils attendent la croissance et ne voient que les profits gigantesques des banques. Lula a promis de changer ce modèle mais dès qu’il bougera, le marché risque de réagir en se repliant sur le dollar, ce qui affaiblira le système boursier… la partie est très délicate.

Quels liens subsiste-t-il entre le président et le monde syndical ? Quelle est votre propre position par rapport à l’action gouvernementale ?

Le gouvernement conserve beaucoup de liens avec le monde syndical : le ministère du Travail est plein de syndicalistes ! Lula a participé au Congrès de la Centrale Unique des Travailleurs (CUT), où le PT est majoritaire, il cultive une amitié spéciale avec son syndicat d’origine, les métallos de la région de Sao Paulo ; c’est d’ailleurs l’ancien président de ce syndicat, Luis Marinho, qui a été élu président de la CUT, très récemment. Nous avons une position de soutien clair au gouvernement Lula, mais nous restons très critiques sur sa gestion de l´héritage, sur les réformes, sa position devant l´Alca (Área de livre comércio das Américas), etc. Nous sommes convaincus que la seule alternative à ce gouvernement serait le retour de la droite, ce dont nous ne voulons pas.