Dans la veine de Péguy, Bernanos et autres polémistes vif-argent, Jacques Julliard est familier de ces coups de sang qui nous valent à périodicité irrégulière de petits essais coups de gueule nullement fielleux mais toujours mordants, acérés et d’une belle vigueur roborative. Peu lui importent les attaques et faux-procès que lui vaudront ses positions anti-conformistes. Le « politiquement correct » n’est pas sa tasse de thé. Il lui préfère l’exigence de vérité quel qu’en soit le prix.

Et la vérité est que la France s’enfonce insensiblement dans sa propre turpitude, dans un mal où elle se complaît en une délectation morose qui signe son déclin, un déclin moins inscrit dans les faits que « dans les têtes ». Nous baissons si promptement les bras dans un « rien de va plus » réputé de bon aloi tout en gardant le menton haut d’une dénonciation qui épargne chacun à bon compte dans l’accablement des « autres ». Un jeu de défausse bien français dont nous finissons aujourd’hui par payer le prix, celui de l’impuissance à faire face à nos problèmes, à les prendre à bras-le-corps dans un élan collectif, à les finaliser sous l’horizon d’un changement dont il faudrait assumer le risque.

Or, c’est là que le bât blesse : notre pays est devenu dans ses fibres les plus intimes conservateur, pire : conservateur et révolutionnaire tout à la fois. D’où un dédoublement permanent dans le faux-semblant, la mauvaise foi, les revendications les plus étriquées, les plus crispées sur la défense des privilèges acquis travesties en défenses vertueuses du service public, de la dignité… dans un lyrisme qui ne trompe personne, surtout pas ses auteurs. D’où le cynisme d’un double langage jamais très éloigné de la schizophrénie. « Peu de pays nourrissent une telle passion de l’égalité, associée à une recherche effrénée de privilèges de toutes sortes. Nous sommes, nous Français, les schizophrènes de l’Occident ». Voilà de quoi se faire des amis ! Et tout spécialement lorsque l’auteur renvoie dos à dos un « syndicalisme d’immobilité » et un « capitalisme de prébendiers », ou fait des événements de 1995 un « Mai 68 au rabais », ou bien encore ouvre son propos par le rappel du triste échec de la « journée de solidarité » enterrée dans la grandiloquence du quant-à-soi. Où l’on voit que, selon une idée autrefois martelée par Emmanuel Mounier et bien d’autres, le changement social ne peut faire l’économie du « changement en chacun ». Péguy ne se trompait sans doute pas en énonçant que « la révolution sera morale ou ne sera pas ». Mais elle suppose une mentalité autre que celle de « notaire » comme dit Julliard.

Vif comme une bise salutaire et… forcément piquant !