Quelle est la nature de ce qu’un cadre doit savoir pour bien faire son travail et remplir correctement ses fonctions ? Et d’abord : manager une équipe, est-ce un art, une science ou un savoir-faire ? Peut-être tout cela en même temps. C’est un art, dans la mesure où le management revêt une dimension créative, innovante, visionnaire même diront certains. C’est une science dans la mesure où il participe d’une pensée analytique et est partie intégrante d’activités très marquées par l’univers technoscientifique. Et c’est aussi un savoir-faire pratique, car il se fonde sur l’expérience et s’enrichit continuellement par la pratique. Mais une chose est sûre : on ne « gère » pas les femmes et les hommes comme on gère les choses.

Diriger n’est pas manager

Cette compétence managériale multifacettes est-elle actuellement enseignée dans les cursus des universités et des grandes écoles ? Rien n’est moins sûr.

Il me semble qu’on prépare - assez bien - les futurs cadres à devenir dirigeant d’entreprise, mais guère à assumer des fonctions de manager. Or, sauf dans les petites entreprises, un dirigeant doit se concentrer sur la stratégie et, de ce fait, surplomber la réalité. La fonction première d’un manager est toute différente : c’est d’organiser et d’animer, au service de son entreprise, la coopération entre les membres de son équipe, à tous les niveaux, mais surtout aux échelons les plus bas de la hiérarchie. C’est aussi de planifier, d’arbitrer, d’allouer des ressources, d’affecter des moyens, bref de décider.

Est-ce à dire pour autant que les cadres sont voués à apprendre le management sur le tas, à n’acquérir les compétences sociales et relationnelles nécessaires qu’à travers leur expérience et leurs erreurs ? Je crois que les managers apprennent vraiment dès lors qu’ils peuvent avoir une attitude réflexive sur leur façon d’agir, partager leur expérience avec leurs pairs, réaliser un travail de distanciation grâce aux cadres conceptuels développés dans les sciences sociales.

Le mot qui caractérise le mieux cette démarche est la réflexivité. C’est elle qui donne la capacité de hiérarchiser ses priorités dans un contexte où l’on fait plusieurs choses à la fois, où les contraintes et les sollicitations sont multiples, où les interlocuteurs sont divers, qui tous peuvent tirer le fil de l’action dans une direction différente.

Donner sa place à la réflexivité dans la formation initiale et continue

Comme pour la médecine, l’attitude clinique – la séquence qui va du diagnostic d’une situation à la prescription et au suivi de ses effets, bénéfiques mais aussi secondaires, c’est-à-dire non voulus ou non prévus – doit se nourrir des savoirs fondamentaux issus des disciplines universitaires.

Parmi ces savoirs théoriques, il y a des matières techniques, des disciplines bien identifiées qui constituent la panoplie de la gestion au sens large : droit, comptabilité, finances, mathématiques et statistiques, systèmes d’information, marketing, psycho-sociologie, etc. La liste est longue et les options très nombreuses qui ne font que refléter la complexité des organisations et de leur gestion. Il y a aussi les techniques proposées pour affronter des situations précises de travail : savoir s’exprimer, savoir écrire, savoir rapporter, savoir animer une réunion, écouter ses collaborateurs, ses clients, savoir affronter les conflits, gérer les tensions, etc.

Mais tout cela doit être complété par une solide culture générale et par un accès aux sciences humaines au sens large (économie, sociologie, psychosociologie, sciences politiques, voire même littérature).

Connaître l’histoire du mouvement ouvrier et des relations sociales - dans notre pays comme chez nos voisins - fait partie intégrante de cette culture générale. Tout cela peut être acquis en formation initiale, ou bien en suivant des séminaires ou des colloques (par exemple ceux qu’organise l’Observatoire des Cadres créé par la CFDT Cadres), ou bien encore par des recherches personnelles.

Toute la question est de savoir comment la formation, initiale et continue, peut préparer au mieux cette réflexivité, ce travail sur soi des cadres en activité. Force est de constater que cet objectif n’est pas considéré aujourd’hui comme prioritaire dans la plupart des universités et des grandes écoles.

Il s’en suit de graves lacunes : les cursus de formation initiale n’incluent guère de questionnement sur la finalité de l’entreprise ou du service public, sur la relation à l’environnement et à l’ensemble des parties prenantes, sur la responsabilité professionnelle des managers, pas plus qu’ils ne proposent aux étudiants un recul critique sur les modèles de gestion et de management les plus répandus. Et les programmes de formation continue sauf exception leur emboitent le pas.