L’histoire de la société industrielle et de son droit du travail est pour une part centrale celle du contrôle d’un temps de travail de plus en plus décompté, mesuré et vidé de cette dimension subjective qui en faisait auparavant un espace de relative maîtrise (temps du rural qui sait « prendre » son temps, temps de l’artisan…). Le chronomètre est passé par là et avec lui Taylor et Bedaux (cf. les beaux textes de Simone Weil et Georges Navel).

Avec le retour de l’individu et la redécouverte de la « ressource humaine », l’étreinte s’est desserrée (gestion plus autonome, horaires individualisés…). Mais si la mutation est incontestable, peut-on parler d’une reconquête du temps par les salariés ?

De la grande enquête menée sous l’égide de D. Linhart et A. Moutet se dégagent des impressions mitigées. Si le changement est incontestable son signe demeure beaucoup plus incertain. « Certes la dimension humaine est prise en compte, la subjectivité est rapatriée dans sa forme la plus explicite. On demande aux salariés de l’excellence, de la disponibilité, de l’inventivité, de la flexibilité (…). La responsabilisation fait partie intégrante de cette modernisation ». Mais… ce qu’il faut tenir pour un progrès trouve sans tarder sa limite à la fois dans les contraintes inhérentes à l’espace de travail encore fortement imprégné d’idéologie taylorienne (cf. les études proposées sur les abattoirs, les centres d’appel, les McDo…) et dans les techniques de gestion déployées qui visent avec habileté au formatage discret de la liberté reconquise et réorientée à bon escient. « Il s’agit de mettre le salarié en situation de faire l’usage de soi, de ses émotions, de son intelligence, de son affect, de sa personnalité au profit de la rentabilité de l’entreprise ». Au point que les salariés en viennent de plus en plus à étendre « librement » le temps de travail à la vie personnelle, certains d’entre eux en venant paradoxalement à réclamer des horaires plus stricts… pour tout le monde.

Un livre, en somme, qui apporte une nouvelle contribution au débat sur les 35 heures.