Il y a deux ans, Marie-Noëlle Auberger publiait avec Jean-Paul Bouchet un Guide de l’administrateur salarié (Cadres CFDT hors série n°424 bis, disponible sur simple demande), qui constituait la mise en forme d’un retour d’expérience, à partir des témoignages d’une trentaine d’administrateurs salariés CFDT. Poussant plus avant ce travail, l’ancienne secrétaire nationale de la CFDT Cadres publie cette fois-ci avec la jeune chercheuse Aline Conchon un ensemble d’articles tentant de cerner ce champ d’un point de vue plus académique – même si quelques consultants et acteurs de terrain ont été associés aux chercheurs.

Le résultat est passionnant, sur un sujet encore mal connu mais dont l’importance est sans doute stratégique pour le syndicalisme, dans un contexte où la gouvernance d’entreprise est redevenue un objet de débat et où les organisations syndicales sont à la recherche de nouveaux lieux d’influence.

Une première partie interroge la légitimité des administrateurs salariés, en examinant d’abord la place des salariés dans la gouvernance des entreprises, tant d’un point de vue théorique (qu’est-ce que l’« intérêt social de l’entreprise ») qu’historique, avec notamment le tournant des années 1970-1980. Le jeu fermé à des dirigeants et du conseil est alors perturbé par les ambitions d’un syndicalisme relayé notamment par les lois Auroux, mais aussi par des actionnaires qui commencent à s’organiser et dont la relation au dirigeants, via les conseils d’administration, évolue alors profondément.

Depuis le milieu des années 1990, la priorité est donnée à la participation financière, ce qui fait évoluer la façon dont les salariés et leurs représentants peuvent infléchir les stratégies et se faire une place dans le processus de décision. La naissance du statut de société européenne, avec une influence assez nette du modèle rhénan et de l’imaginaire de la cogestion, ouvre de nouveaux horizons, tout comme la directive européenne sur les fusions transfrontalières.

Une deuxième partie interroge la place et le rôle des administrateurs salariés, reconnus comme un élément clef du modèle social européen mais dont on peut interroger le lien à la performance de l’entreprise – ce que font Xavier Hollandts, Zied Guedri et Nicolas Aubert à partir d’une étude empirique sur le SBF 250. Suivent différentes études sociologiques destinées à quantifier et qualifier cette figure mal connue de la vie des grandes entreprises. Une troisième partie enfin, plus institutionnelle, s’intéresse aux discours et aux positions des acteurs des relations professionnelles, donnant la parole à des syndicalistes CGT, CFDT (Jean-Paul Bouchet) et CGC, ainsi qu’à Louis Schweitzer qui choisit de voir dans les administrateurs salariés des administrateurs à part entière – position de principe quelque peu démentie par les pages précédentes, qui laissent apparaître une réalité plus contrastée. Si l’ancien patron de Renault met en avant les avantages offerts par la connaissance fine de l’entreprise et de ses métiers qu’ont les administrateurs salariés, notamment l’apport d’une connaissance fine de l’entreprise et de ses métiers, bien d’autres dirigeants et administrateurs ne sont guère favorables à la présence d’administrateurs salariés, les arguments le plus souvent avancés étant les inquiétudes en matière de confidentialité et le risque de voir le Conseil être livré aux affrontements d’intérêts particuliers.

À quoi les directrices de l’ouvrage répondent, dans leur conclusion, en mettant en cause le caractère « monochrome » des conseils, potentiellement dangereux pour les entreprises. Antoine Rebérioux, dans sa contribution, avait déjà souligné la dérive d’une vision irénique du conseil censé désormais représenter les intérêts des actionnaires, quand au contraire on peut souhaiter qu’il joue un rôle plus politique, d’interface avec les autres parties prenantes mais aussi de formalisation des divergences. En outre, on observe que les administrateurs salariés ne se signalent pas par une culture de l’opposition systématique, et au demeurant n’en ont pas les moyens politiques, mais au contraire tentent de faire valoir le point de vue des salariés d’une façon plus intelligente que ne le supposent ceux qui s’opposent à cette représentation. « L’administrateur salarié, rappellent Marie-Noëlle Auberger et Aline Conchon, ne saurait se confondre avec un super-délégué, et les tenants de ce mandat sont les premiers à affirmer la différence. Le conseil d’administration n’est pas une instance de représentation du personnel ni un lieu de dialogue social, ses fonctions sont différentes de celles du comité d’entreprise, qu’il soit central ou européen. Il n’empêche que, dans un gouvernement d’entreprise incluant des administrateurs salariés, le conseil devient un espace pertinent de l’action collective. » Restent des questions comme le périmètre exact couvert par les administrateurs salariés dans leur fonctions de représentation (où s’arrête l’entreprise ?) et logiquement la représentation des parties prenantes externes, notamment celles qui entretiennent une relation commerciale structurante avec l’entreprise, mais aussi celles qui représentent la société civile. Un chantier désormais ouvert, et qu’il conviendra de suivre.