C’est à la fin des années quatre-vingt, avec l’individualisation des salaires, qu’apparaissent les premiers entretiens individuels de fin d’année. Certains que cette nouveauté leur sera favorable, bien des ingénieurs et cadres accueillent cette initiative avec une forme d’enthousiasme, comme si elle sonnait nécessairement le glas des politiques salariales arbitraires. Mais après quelques exercices, les mêmes fustigeront cette pratique de l’évaluation et notation, avec des contre-propositions balayant un large spectre, de la demande d’une plus grande granularité dans l’échelle des notes à des revendications de simplification. Simultanément, chacun invente sa politique salariale (« c’est vraiment injuste, j’ai été le mieux noté et je ne suis pas plus augmenté que les autres »…). L’un de mes camarades me confia alors l’hypothèse suivante, avec une ironie toute voltairienne : « ils ne critiquent pas le principe de l’évaluation mais contestent leur note ! ». Une collègue qui avait travaillé aux Etats-Unis m’a fait la remarque suivante : « en France, un salarié noté comme excellent ressort souvent mécontent de son entretien et se dit démotivé. Outre-Atlantique, un salarié noté en bas de l’échelle quitte son manager, certain d’être aussi intelligent que le Président des Etats-Unis ». De ces observations, je déduis plusieurs éléments.

L’entretien individuel est souvent source d’une véritable blessure narcissique, au moins dans nos contrées (la situation semble différente dans les régions anglo-saxonnes… la logique de l’honneur ?...), ce que, par la suite, certaines organisations syndicales dénonceront en parlant d’absence de reconnaissance. L’introduction de l’individualisation a eu pour corollaire inattendu l’invention par chaque salarié d’une politique salariale imaginaire pour l’entreprise où l’on perçoit l’attribution d’une augmentation