Pour la troisième fois en dix ans, l’Union Européenne procède à une réforme de la Politique agricole commune. Pilier de cette politique, les soutiens à l’agriculture constituent un point d’achoppement du cycle de négociations internationales sur le commerce initié à Doha. Ces soutiens font l’objet d’âpres débats sur leur niveau, leur modalités, leur répartition et in fine leur justification, compte tenu des attentes sociétales des consommateurs mais aussi des citoyens vis-à-vis de l’agriculture

Même si l’agriculture ne représente plus qu’une faible part du PIB dans les pays industriels, la plupart d’entre eux ont mis en place des instuments d’intervention sur leurs marchés agricoles pour garantir à la fois leurs approvisionnements et le revenu des producteurs nationaux. Dispositif usuel de la panoplie des mesures de soutien, le système des prix garantis complété par une protection tarifaire, adopté notamment par l’Union Européenne, génère des distorsions de concurrence en fermant des marchés domestiques aux produits des pays tiers et en subventionnant à l’exportation les produits ainsi soutenus. Suite à l’accord sur l’agriculture intervenu lors du précédent cycle de négociations (Uruguay Round), la plupart de ces pays industriels ont remanié leur politique de soutien à l’agriculture. Pour l’Union Européenne, l’abandon de l’orientation productiviste au profit d’une réelle maîtrise de la production s’est concrétisée par une réforme de la PAC introduisant en trois temps un découplage progressif : 1992 instaurant un système basé sur les surfaces cultivées et les effectifs de cheptel ; 1999 alignant les aides aux oléagineux et protéagineux sur celles aux céréales ; 2003 consacrant pour l’ensemble des produits le principe du découplage entre aides et productions.

Si, selon l’OCDE, en 1986 les mesures de soutien à l’agriculture s’établissait à 2,5% du PIB communautaire, elles ne comptent plus désormais que pour 1,3% en 2002. Rapportés à la part de la valeur ajoutée agricole dans le PIB communautaire (1,7%), les soutiens à l’agriculture en représentent les trois quarts et, à titre d’exemple, dépassent de beaucoup le montant consenti par l’Union européenne pour l’aide au développement. Cependant, au regard de la multiplicité des fonctions assurées par les agriculteurs, tant marchandes, vis-à-vis du complexe industriel et tertiaire impliqué dans la production et la distibution de biens alimentaires, que non marchandes, vis-à-vis des usagers de l’espace rural pour son occupation, son entretien et le développement économique d’activités connexes, ce budget de 120 milliards d’euros apparaît modeste compte tenu des enjeux économiques afférents aux seuls marchés de l’agro-alimentaire et du tourisme.

On comprend dès lors pourquoi la politique des soutiens à l’agriculture constitue une question d’actualité rémanente en raison, d’une part, des objectifs fixés par le nouveau cycle de négociations menées sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce visant une élimination progressive des barrières tarifaires, et, d’autre part, des pressions exercées par les producteurs concernés réclamant une compensation pour les baisses de prix agricoles amputant leur revenu et menaçant un équilibre fragilisé par les pertes subies lors des crises agricoles (vache folle, sécheresse…).

« Pourquoi et comment intervenir en agriculture ? » A cette question liminaire, l’ouvrage répond en fournissant dans un premier temps les éléments conceptuels et les circonstances historiques susceptibles d’alimenter une réflexion critique sur les modalités d’intervention des pouvoirs publics dans le domaine agricole et, dans un second temps, en évaluant empiriquement l’évolution des concours publics en agriculture sur une base factuelle couvrant la décennie passée.

Chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique et spécialistes du ministère de l’Agriculture ont donc mobilisé les données de la décennie passée sur l’évolution tant des soutiens à l’agriculture que des concours publics et leur répartition entre régions et catégories d’exploitations pour analyser la mise en oeuvre de cette politique agricole, en France mais aussi comparativement aux autres état membres de l’Union Européenne. De cet effort collectif, suscité à l’origine par Bertrand Hervieu alors président de l’INRA, il résulte un cadre théorique assorti d’une perspective historique, outil susceptible d’enrichir la réflexion actuelle sur le découplage entre aides et production mais aussi sur la nécessaire réorientation des moyens au service des autres fonctions sociales de l’agriculture.

Face à ses missions de recherche finalisée, l’INRA nous offre là, en tant que producteur de connaissances mais aussi en tant qu’éditeur scientifique, une précieuse synthèse des réflexions et travaux menés sur les politiques publiques en agriculture. Formons le souhait que, dans le domaine des sciences sociales, d’autres réalisations viennent honorer de semblable manière la mission d’expertise publique que revendique l’INRA en tant qu’institution.