Chacun sait qu’il devra affronter, au cours de sa vie professionnelle, des étapes difficiles dont l’issue dépendra de paramètres sur lesquels le travail a peu d’emprise : choix stratégiques et organisationnels de l’entreprise, performances financières des marchés, « outsourcing » ou délocalisation des marchés de production. Pour autant, la tertiairisation du travail sollicite encore davantage l’initiative individuelle et donc des choix à faire régulièrement en terme de priorités, de nécessité, d’intérêts et de conditions de travail.

Notre métier de conseil en Orientation et Evolution Professionnelles nous amène à accompagner les choix professionnels de personnes de tous âges, dans des contextes de repositionnement interne ou externe faisant suite à des évolutions d’organisation. Dans ces situations d’échange et de réflexion, où se conjuguent passé, présent et futur des trajectoires, il apparaît trois types de besoins. Le premier est une aide à la mise en perspective d’un parcours au regard d’organisations matricielles instables ou de métiers en évolution. Le second est une clarification autour des tensions générées par des enjeux divergents : prise de risque/sécurité d’une part et vie personnelle/vie professionnelle d’autre part. Le troisième est une relance de la dynamique entrepreneuriale sous forme d’initiatives à prendre pour entretenir des réseaux sociaux et promouvoir le marketing de soi. Pour nous professionnels de l’orientation, ces situations nous confrontent à la difficulté des organisations à faire progresser les salariés en anticipant les évolutions et à leur à proposer des formes d’amortissement des lois du marché moins brutales et plus sécurisées. Et ce malgré le fait qu’elles ont mis en place des dispositifs de mobilité interne la plupart du temps méconnus ou mal compris.

Se mettre en perspective professionnelle dans un univers socio-économique durablement tendu et instable sollicite des qualités personnelles d’ouverture et de prise de risque pour les salariés et pour les demandeurs d’emploi. Il s’agit d’accepter de se mettre en tension, d’identifier son expertise et son marché du travail dans des structures en réorganisation.

Quels sont les points de convergences et les spécificités liées à l’âge dans ces moments de transition professionnelle ? Au-delà de la perte de repère et de l’appréhension qu’elle génère, comment les différentes générations abordent-t-elles un avenir professionnel incertain ? Et comment les entreprises anticipent-elles ces ruptures dans leur gestion RH ou dans leur management ?

Notre propos est d’apprécier et d’isoler les effets de l’âge et ceux de la génération dans les choix d’orientation professionnelle en termes de prise de risque, mais également en termes de moyens mis en œuvre pour se décider à entreprendre.

Age et générations face au travail

Les générations traversent et partagent des codes et valeurs de référence en matière de relations d’emploi, de rapports au travail et de risques de perte d’emploi. Ce qui est central dans une période de la vie l’est moins dans une autre. A titre d’exemple, la maternité et ses effets sur les liens au travail constituent une référence, implicite si ce n’est acceptée, des femmes par rapport au travail.

Le fait d’être confronté aux mêmes événements crée des références historiques communes comme Mai 68 pour les baby boomers, les effets du premier choc pétrolier sur l’emploi en 1974 ou ceux de la crise financière fin 2008 pour la génération qui entrait sur le marché du travail. C’est ce que le sociologue Karl Mannheim (1926) appelle les « cristallisations générationnelles »

Dans une économie du savoir et de l’information, les outils numériques ont un impact différent suivant les générations. Les outils collaboratifs et les réseaux sociaux comme Facebook ou Viadeo façonnent les comportements dans les interactions et dans le rapport au temps qu’ils génèrent. Ce rapport est linéaire chez les baby boomers, alors que les plus jeunes vivent un temps compressé et nourri aux règles de l’interaction.

Les grandes étapes de la vie personnelle jouent le rôle de marqueur : mariage, naissance des enfants, acquisition du logement principal, engagements extraprofessionnels, problèmes de santé du salarié ou de sa famille, deuils… Elles ont une forte incidence sur la vie professionnelle et notamment sur les choix professionnels des femmes.

Dans le même ordre d’idées, plus variées sont les identités et les engagements dans des activités des sphères professionnelle et personnelle, plus la personne retrouve facilement une forme d’équilibre personnel en cas de turbulences. Comment dès lors susciter cette diversité dans l’engagement au travail qui contribue à construire différentes identités dans l’univers professionnel ? A contrario, l’isolement et un resserrement exclusif des intérêts sur la vie professionnelle engendrent, en cas de turbulences, des tensions plus difficiles à vivre. La stabilité affective peut largement contribuer à compenser des errements. Mais voyons les étapes tangibles que franchit chaque génération dans le travail ?

Les plus de 55 ans

Alors que s’allonge la durée de vie au travail et que s’éloignent les rives de la retraite, les postures et les attentes des salariés face aux transitions professionnelles évoluent. On peut distinguer quatre tranches d’âge. La génération des baby boomers -55 ans et plus- poursuit une diversité d’objectifs : continuer sereinement l’activité en faisant avec plaisir ce que l’on sait bien faire, tenir au moins jusqu’à l’âge, connu ou inconnu, de départ en retraite, tout en restant conscient du fait que les signes de reconnaissance sociale – niveau de classification, rémunération, statut - ne sont que les témoins d’un parcours linéaire et ascensionnel que favorisait le contexte des premiers temps de leur carrière. Ces signes ont plus ou moins perdu leur valeur. Dans l’image actuelle d’une carrière, plus qu’une continuité ascendante sont valorisées les transitions comportant des ruptures.

Cette génération, consciente d’avoir bénéficié des belles années de l’emploi, est aussi celle des mouvements idéalistes nés de Mai 68, qui était portée par un environnement socio économique favorable.. Les rémunérations, qui sont élevées par rapport à celles des salariés des générations suivantes, expliquent en partie leur difficulté à se repositionner et les réticences des entreprises à les embaucher. De l’amertume des décalages entre les idées et le chemin parcouru, naît une sorte de détachement plus ou moins serein en fonction de la capacité qu’ils ont à s’engager dans une nouvelle trajectoire ou de s’investir sur des projets personnels. Ils compensent une moindre tolérance aux contraintes de temps par des actions mieux anticipées et plus prudentes au regard des risques encourus.Ils sont fortement demandeurs d’un accompagnement interne ou externe pour s’enraciner à nouveau dans une nouvelle logique de vie en y intégrant de la formation. Certains de ces seniors sont demandeurs d’une tâche de passage de témoin consistant à transmettre leur capital de compétences aux générations suivantes.

Un ultime signe de reconnaissance de la valeur des anciens par des entreprises serait d’aménager ce pacte intergénérationnel en permettant « aux uns de bien vieillir et aux autres de mieux grandir. »

Les 45 ans-55 ans : la force de l’âge

En cas de turbulences professionnelles, la tranche des 45-55 ans est la plus exposée, dans la mesure où des réorganisations peuvent les soumettre à rude épreuve pour le retour au travail. Le poids de l’ancienneté, aussi bien dans ce qu’elle représente pour le salaire que pour les indemnités de licenciement ou pour les chances d’indemnisation aux prud’hommes, tout cela les incite à une faible mobilité volontaire. Pour cette génération, l’intériorisation de la valeur travail a eu pour contrepartie une certaine fidélité/conformité à l’entreprise. Le pacte brisé les laisse dans une sorte de désarroi qu’accentuent les tensions sur les rémunérations dans le marché du travail.

Du côté des entreprises, ils ont la réputation d’être surdimensionnés et moins souples devant le changement,… Même s’ils sont davantage conscients de la dimension politique du fonctionnement des organisations, cette forme de maturité peut les isoler davantage. Comment savoir ce qui désormais fait sens dans ces organisations à l’heure de la « Performance Client » ? 45-55 ans c’est l’âge des compromis professionnels et relationnels tandis que l’excellence, une alliance de l’expérience et de la mise en mots de cette expérience, apparait proche.

Les 35-45 ans : le potentiel

C’est l’âge des choix assumés avec énergie, à la lumière de la première partie de parcours. La plupart de nos candidats expriment souvent le sentiment d’être à la fois au top de leurs capacités physiques et de leur force morale et psychologique. Au moment où, pour la plupart d’entre eux, les choix personnels sont largement engagés, les cadres salariés que nous suivons sont le plus souvent déterminés à sauter une bonne marche.

Le fonctionnement dans des organisations tertiaires en mode « processus » ou en mode « projet » est assimilé comme une deuxième nature : ils reconnaissent des formes d’usure dans l’énergie à réinvestir à chaque nouveau projet. Ils se disent conscients de la nature provisoire du travail «tout terrain » mais également du nécessaire travail personnel à réaliser pour se positionner sur le prochain projet, en sachant mobiliser la créativité et projeter le marketing de soi. Il s’agit non seulement de continuer à innover mais également de le faire savoir… En milieu de carrière, le choix de la formation ouvre des perspectives de reconversion professionnelle ou de certification sur un métier par la VAE.

25-35 ans : la perspective

Les stages, les intérims et les CDD qui ont précédé le premier CDI, mais aussi l’observation de la vie professionnelle tumultueuse de leurs parents, tout cela a donné à cette génération à la fois un esprit plus entrepreneurial et une confiance plus limitée dans les organisations et les promesses managériales. Née avec les nouvelles technologies, cette génération, qui en a compris les enjeux, sait les utiliser pour piloter et gérer la vie professionnelle en mobilisant les réseaux sociaux : elle sait l’importance de gérer son identité au travers du numérique tout comme la précédente génération entretenait son employabilité. Il faut désormais compter sur l’image : la résonnance du réseau constitue une marque de fabrique. Dis moi qui tu connais, je te dirai ce que tu sais faire. La jeune génération se fond à merveille dans le réseau non hiérarchique de l’internet où la compétence est reconnue lorsqu’elle arrive au bon moment.

Tandis que s’éloigne l’âge de la retraite, il nous parait indispensable de reconnaitre que les perceptions et les aspirations par rapport au travail se diversifient en fonction de l’âge et des trajectoires personnelles. Pour autant, le maintien et le développement des capacités de travail du point de vue de la santé, de la compétence et de l’appétence se préparent à tous les âges de la vie. C’est ce qui donne sens à notre métier d’expert en mobilité professionnelle.