Made in Germany, une disposition qui figure dans le Merchandise Marks Act de 1887 prévoyait que les produits vendus en Angleterre devaient indiquer le nom du pays d’origine. Cette mention devait surtout inciter les Anglais à ne pas acheter les produits fabriqués en Allemagne ; or cette notion a depuis lors symbolisé la qualité des produits allemands ; le Made in France récemment lancé a également pour but d’inciter à acheter des produits français.

Le produit made in Germany est fabriqué et vendu (au moins en Allemagne) avec le sérieux, l’état d’esprit et la mentalité spécifiques qui caractérisent généralement le peuple allemand. Certes, l’auteur ne se réfère pas expressis verbis à ces termes dans le cadre de l’explication du « modèle allemand » ou du succès de l’économie allemande. Pour lui, les succès de l’économie allemande sont dus aux points forts traditionnels du pays : « un système de relations sociales très structuré, un monde du travail où le diplôme ne fait pas tout, un pays où l’entreprise n’appartient pas aux actionnaires, une forte spécialisation dans les biens d’équipement et les technologies vertes, une longue tradition de décentralisation qui permet de disposer partout d’un capital financier, culturel, social, humain suffisant pour innover et entreprendre » etc… Il est évident que les caractéristiques mentionnées ci-dessus font implicitement partie de ces points forts. Il ajoute « ce qu’il faudrait copier, ce sont plutôt les caractéristiques traditionnelles du modèle allemand que les réformes récentes qui y ont été apportées ».

Pour bien comprendre cette affirmation, il faut lire attentivement le livre de Guillaume Duval, rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques et ingénieur de formation (terme qu’un Allemand, en relation avec la formation française, a toujours du mal à cerner). L’auteur explique dans les diverses parties que le modèle allemand ne date pas de Schröder ; ce qu’a apporté la réunification ; les réformes de Schröder et enfin les vraies raisons du rebond de l’Allemagne d’Angela Merkel. Sa conclusion s’intitule « L’impasse Schröder ou le Green New Deal ».

Dans son introduction déjà, l’auteur, en se référant à Michel Albert, écrit que « les succès de l’économie allemande restent liés surtout à des caractéristiques structurelles qui ont peu à voir avec les réformes tant vantées de Schröder », telles que la valorisation de l’industrie et le système de formation, la décentralisation, le poids déterminant des syndicats de salariés dans les entreprises et les branches, etc… En effet, le système de conventions collectives de branche est à la base de l’autonomie des partenaires sociaux et l’Etat limite le plus possible ses interventions dans le droit du travail notamment en matière salariale. Le style de management allemand est orienté vers la négociation et le compromis, contrairement à la tradition élitiste liée au système des grandes écoles en France, style auquel s’ajoute la présence massive des salariés dans les conseils de surveillance, considéré comme facteur clé de la compétitivité allemande sur le long terme.

Toujours en matière de compétitivité et en ce qui concerne la désinflation, l’auteur rappelle que les Allemands ont « une sainte horreur de l’inflation », ce qui se comprend du point de vue historique et qui explique également les conceptions des responsables politiques allemands dans le cadre des recherches de solutions en relation avec la monnaie unique.

Le système éducatif et le mode d’insertion des jeunes dans le monde du travail sont fort différents entre la France et l’Allemagne où le fait de posséder un « diplôme ne fait pas tout ».

Tandis que le système de la planification souple ou indicative a particulièrement caractérisé la période d’après-guerre en France et les débuts de la création du Marché commun, la construction de l’économie allemande s’est faite sur une base plus libérale, notamment influencée par l‘école de Freiburg.

La réunification allemande s’est faite dans le cadre d’un processus coûteux mais profitable pour l’économie allemande ; malgré les cicatrices liées à cette réunification, l’Allemagne est devenue un pays moins déséquilibré que les autres grands pays européens.

La partie intitulée « le cas Schröder : anatomie d’une mystification » est particulièrement intéressante du point de vue de ce qu’on pourrait qualifier de « modèle allemand » et que certains économistes proposent pour une imitation. Ce chancelier, socialiste, a beaucoup fait parler de lui en relation avec son « agenda 2010 » (baisse des cotisations sociales patronales, facilitation des licenciements, durcissement de l’assurance chômage…) et les lois dites Hartz (du nom de l’ancien directeur des ressources humaines de Volkswagen) notamment Hartz IV (diminution de la durée de l’indemnisation du chômage et référence à l’aide sociale, jobs à un Euro…). Duval tire un bilan globalement négatif de la période Schröder. Il souligne qu’en sept ans, le social-démocrate Schröder a fait de l’Allemagne un pays bien inégalitaire : « les inégalités se sont certes creusées aussi durant cette période dans nombre d’autres pays d’Europe, mais nulle part ailleurs dans des proportions aussi importantes qu’en Allemagne ».

La dernière partie du livre est consacrée aux vraies raisons du rebond de l’Allemagne d’Angela Merkel et au succès de l’économie allemande. Ce succès est dû à une politique moins antisociale depuis 2005 et « aux caractéristiques structurelles anciennes du modèle allemand : forte valorisation sociale du travail industriel, importance de la négociation sociale entre patronat et syndicat, pouvoirs étendus des représentants des salariés dans les entreprises… ». A ces facteurs s’en s’ajoutent d’autres, plus conjoncturels, à savoir l’absence de bulle immobilière, des taux d’intérêts très bas etc. Pour l’auteur, Angela Merkel n’a fait que corriger les dégâts de Schröder. Il y a aussi les bénéfices de la chute du Mur, les profits tirés de la mondialisation en relation avec la demande des pays émergents et les profits tirés de la crise de l’Euro.

En conclusion, les véritables causes du succès du modèle allemand restent pour l’auteur la codétermination et les pouvoirs étendus des salariés, le management moins autoritaire et hiérarchique, la valorisation du travail, une plus grande mobilité sociale ; ajoutons à ceci que l’Allemagne privilégie l’investissement productif contrairement à ce qui se passe avec la rente foncière en France.

Je conseille la lecture de ce livre à ceux qui souhaitent d’une part avoir d’excellentes connaissances sur le fonctionnement de l’économie allemande (en relation avec l’économie française), et d’autre part se forger une idée claire de la notion de modèle allemand et de la problématique de transfert de ce modèle dans d’autres états. Travail de Sisyphe au vu de tous les éléments à prendre en considération et qui découlent d’un long processus historique. Ce livre sera éminemment profitable à ceux qui veulent avancer dans une meilleure connaissance mutuelle de ces deux pays.

Il est malheureusement fort dommage que l’auteur ne saisisse pas cette occasion d’abandonner certains stéréotypes : il considère toujours le Herr Doktor comme un titre de gloire (il y a certainement autant, sinon plus de Monsieur le Président en France que de Herr Doktor en Allemagne) ; autre préjugé : « les Allemands ne lisent pas Rabelais… » ; sont-ils pour autant incultes ? Devrait-on reprocher aux Français de ne pas toujours connaître Kleist, Lessing, Goethe ou Schiller ? Abandonnons ce genre de remarques inutiles.