Le numéro 445-446 (septembre 2011) de la revue Cadres s’intitule « Management, un terrain à reconstruire ». A la première page de cette revue, dans l’éditorial on peut lire : « Les managers doivent définir l’objectif spécifique et la mission de l’organisation à laquelle ils appartiennent, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’un hôpital ou d’une université » ; en ajoutant à cette phrase « ou d’une association, d’une mutuelle, d’une coopérative, etc » on s’oriente vers une notion de managers qui ne sont pas obligatoirement des managers rémunérés au sens classique du terme mais des managers qui peuvent également travailler à titre bénévole et qui gèrent, essentiellement et en principe, des travailleurs qui effectuent leur travail notamment à titre bénévole. Ici nous nous trouvons face à une autre sorte de management à savoir celui du management du bénévolat. Selon les statistiques indiquées par l’auteur, le bénévolat concerne environ 12 millions de personnes appartenant à toutes catégories d’âge de la population.

12 millions de personnes doivent donc être managées selon des méthodes qui, compte tenu de la spécificité du bénévolat, diffèrent de celles d’un management classique tel qu’enseigné dans les grandes écoles, les universités ou des écoles qui se sont spécialisées dans le management et tel qu’il fait l’objet de nombreuses publications qui remplissent des bibliothèques entières. Par contre, peu d’enseignement reste consacré au management dans le cadre du bénévolat et relativement peu de publications sérieuses traitant de cette question se trouvent dans les bibliothèques.

La publication de Laurent Pujol apporte « un outil indispensable pour manager les bénévoles, (et) vise à combler un manque opérationnel sur ce volet méconnu du management, dans un contexte de concurrence accrue et de professionnalisation des associations ».

L’auteur traite ce problème dans deux parties. La première partie est consacrée à la définition et aux fondements du bénévolat. On relève notamment parmi les composants de la définition les éléments suivants : l’engagement, le service d’intérêt général, l’organisation formelle reconnue par la loi, la non concurrence avec un emploi rémunéré, le don du temps et de compétences, l’engagement volontaire, la gratuité et la non-soumission à une subordination juridique (contrat du travail) tout en restant dans le respect des lois en vigueur. Les fondements socio-économiques et juridiques analysés dans cette partie permettent au lecteur de se familiariser avec les évolutions sociales et environnementales, ainsi qu’avec les évolutions dans les relations entre le bénévolat et les organisations, ou encore avec le cadre légal en relation avec la responsabilité et l’assurance, les mesures fiscales et les revendications à propos d’un statut du bénévolat. Cette partie contient également un chapitre traitant du volontariat qui est bien distinct du bénévolat.

La deuxième partie, plus importante, concerne le management des bénévoles au sens propre du terme et analyse les principes de management des bénévoles en 17 étapes. Dans ces 17 étapes, l’auteur fournit une large panoplie de principes et conseils indispensables pour un management efficace, management qui doit tenir compte « de la nature de l’organisme, de sa culture, de son environnement. » Ces 17 étapes se regroupent autour de trois grands axes. Le premier axe est celui du bénévolat dans l’organisation avec une définition de la mission et de la stratégie de l’organisation, une analyse de l’effectif existant des bénévoles, un bilan des compétences (assiduité, fiabilité, capacité d’initiative, connaissance du « métier » etc), et une étude des besoins. Le deuxième axe aborde le problème du recrutement des bénévoles en neuf étapes, de la définition des postes à l’accueil, l’intégration et aux premiers pas dans l’organisation, étape très importante pour le bénévole et pour laquelle l’auteur fournit des conseils utiles.

Le troisième axe concerne l’accompagnement et le soutien du bénévolat dans le quotidien (gestion globale des actions de formation qui devrait être centrée sur les attentes du bénévole et les besoins du poste occupé, optimisation de la communication interne, prévention des conflits et évaluation des bénévoles). Un chapitre traite ensuite du cas des bénévoles élus au conseil d’administration. La conclusion du livre souligne les freins internes à la mise en place et/ou au développement du management des bénévoles, et indique le chemin vers une méthode pour introduire le management des bénévoles en rappelant notamment la nécessité de poser un diagnostic sur les outils déjà en fonctionnement dans la structure.

Laurent Pujol, maître de conférence à l’université du Maine, a su présenter d’une manière claire, précise, et facilement accessible, un domaine très complexe ; il est également parvenu à couvrir un domaine peu connu dans le cadre du management, le bénévolat. La bibliographie qu’il indique et qui se compose essentiellement de publications en langue française, permet aisément d’approfondir certains aspects traités.

Toutefois le manager, dans ses relations professionnelles et humaines avec les bénévoles, ne doit pas seulement se servir des mots magiques tels que « s’il vous plaît » et « merci ». Il me semble qu’il doit aussi pouvoir informer, dans la mesure où cette possibilité existe, de la protection sociale dont pourraient, sous certaines conditions, bénéficier ces bénévoles. Cet aspect pourrait utilement faire l’objet d’une révision de ce livre et être traité dans le cadre d’une comparaison internationale. En effet, il y a déjà vingt ans que le Comité des ministres du Conseil de l’Europe s’est préoccupé d’un aspect spécifique du bénévolat et a adressé aux gouvernements de ses Etats membres une recommandation relative à la sécurité sociale des travailleurs sans statut professionnel (les aidants, les personnes au foyer ayant des responsabilités familiales et les personnes bénévoles). Le texte vise « les personnes qui, d’une façon bénévole, dans le cadre d’une organisation d’intérêt social ou socio- culturel ou à titre individuel, exercent des activités ou rendent des services à caractère social ou socio-culturel ». Il revient aux Etats membres de déterminer les conditions nécessaires pour qu’une personne soit considérée comme exerçant une activité bénévole. Ces personnes devraient être assurées de façon obligatoire contre les risques couverts par les branches de maladie (soins médicaux), de vieillesse, d’accident du travail et de maladies professionnelles, de prestations familiales, d’invalidité et de survivants et que « le montant des prestations devrait correspondre aux normes prescrites par les instruments de sécurité sociale du Conseil de l’Europe…. ». Des propositions pour le financement de ces prestations sont également prévues par la recommandation, à savoir : financement par cotisation personnelle, par cotisation des organisations concernées, par contributions des collectivités publiques ou par une combinaison des ces modalités.

De telles mesures en faveur des bénévoles pourraient certainement avoir des répercussions favorables sur le marché du travail dans le sens d’une plus grande orientation des personnes vers une activité bénévole lorsque le revenu familial est suffisamment élevé pour garantir un certain niveau de vie, ce qui pourrait libérer la pression sur le marché du travail, tout en garantissant à la personne exerçant une activité bénévole de bénéficier des prestations adéquates et être notamment financièrement indépendante en vieillissant. Les gouvernements et les organisations d’employeurs et de travailleurs devraient s’inspirer de telles réflexions et les poursuivre.

La situation actuelle des économies européennes confrontées à une augmentation manifeste du chômage, de la précarité et de la pauvreté invite aussi à s’intéresser plus avant à la question du management du bénévolat. D’une part, beaucoup de chômeurs offrent leurs services et souhaitent travailler dans le cadre d’activités bénévoles et d’autre part les associations qui apportent leur aide aux chômeurs et aux plus démunis ont besoin d’un personnel bénévole compétent pour faire face à leur tâche.

Il faut aussi garder à l’esprit le phénomène du vieillissement de nos populations ainsi que celui de la dépendance qui nécessitent un personnel accru, aussi bien en personnel « professionnel » rémunéré qu’en personnel qui travaille à titre bénévole et qui ne devrait pas seulement bénéficier d’une simple reconnaissance sociale, mais également, du point de vue d’une éthique sociale et dans le cas idéal, des prestations de sécurité sociale mentionnées dans la recommandation du Conseil de l’Europe.

En guise de conclusion, à propos des observations formulées et concernant le livre de Laurent Pujol, il faut encore répondre à la question de savoir à qui s’adresse ce livre. La quatrième page de couverture précise qu’il s’adresse aux enseignants et étudiants des filières spécialisées aussi qu’aux formateurs et consultants et aux associations, mutuelles, coopératives et fondations qui emploient des bénévoles. Les responsables des organisations syndicales d’employeurs et de travailleurs et surtout les personnes souhaitant entreprendre une activité à titre bénévole devraient également lire cet ouvrage écrit de manière claire, précise et très pédagogique et assorti d’une bibliographie très instructive. Ils pourraient en tirer un bénéfice appréciable.