En arrivant fin 2000 comme permanent à l’Union confédérale des cadres (UCC), je croise une personne de connaissance au siège de la confédération boulevard de La Villette qui m’interpelle : « l’UCC, ça n’a aucun avenir, ce truc-là ». J’avais fait le choix de quitter ma région, un environnement professionnel passionnant, de m’éloigner de mes proches... Mes prédécesseurs m’avaient prévenu des difficultés à faire reconnaître l’identité cadres dans la maison CFDT : « chez nous, les cadres, ce sont les suppôts du patron », « ce n’est pas une priorité », « on va quand même pas en faire plus pour eux, qui ne sont pas les plus à plaindre ». L’équipe nationale, autour de François Fayol, fait adopter la marque « CFDT Cadres » tout en maintenant l’UCC dans les statuts confédéraux pour marquer la volonté d’exister dans l’organisation. A part entière dans la CFDT et pas à part. Nous représentons la CFDT dans les milieux ingénieurs et cadres, de plus en plus nombreux parmi les actifs : 37 000 cadres CFDT déclarés en 2001, plus de 61 000 en 2016, et nous savons qu’ils sont bien plus nombreux en réalité. Aller à la rencontre de ces salariés à part entière, avec leurs spécificités, n’est pas toujours naturel. En lien direct avec les adhérents, les sympathisants. Mais travailler avec et au service des organisations est la voie à privilégier. J’ai vu la question abordée par deux fois en Bureau national confédéral.

La CFDT doit être le reflet de la diversité du salariat. Pour cela, il faut aller sur le terrain avec les responsables, apporter un service, des appuis, des outils, développer des partenariats, nouer des coopérations… Il fait aussi contribuer à changer l’image d’une organisation, perçue à tort ou à raison (peu importe) un peu à part, qui pense, réfléchit, mais dont les productions sont peu ou mal connues. Il faut faire rayonner cette union : « soyez fiers d’être vous-même » nous dit un jour en substance Edmond Maire. Il faut faire mieux connaître l’Observatoire des cadres et du management (OdC), mettre notre organisme de formation (le Crefac) au service des adhérents et militants pour leur donner les appuis nécessaires en matière de management d’équipe, de projet, de conflit… Il faut faire connaître notre conception d’un autre management, que celui-ci est possible au service d’un nouveau mode de développement, comme voulu au congrès confédéral de Marseille (2014), en publiant un « Guide du manager CFDT » puis un ouvrage Manager sans se renier (Editions de l’Atelier, 2015). La parole sur le management ne peut rester le monopole du monde académique et scientifique, même si celui-ci alimente et nourrit notre réflexion, nos orientations.

Un parcours professionnel, syndical, offre de multiples opportunités de débats, d’échanges pluriels, de rencontres de personnes passionnantes, mais aussi de lectures, c’est ce que ce numéro de la revue illustre aussi à partir de paroles d’acteurs engagés. Les meilleurs moments sont sans nul doute ceux des rencontres avec les adhérents, les militants, mais aussi les sympathisants, les électeurs, celles et ceux qui nous font confiance, même s’ils ne franchissent pas le pas de l’adhésion (qu’on ne leur propose peut-être pas assez). C’est dans ces espaces-là que se nourrit le militant, le responsable, parce que les témoignages, le réel, la vraie vie, c’est ce qui fait la pertinence de nos analyses, de nos revendications, qui nous prémunit du risque de déconnexion.

J’aime beaucoup cette formule de Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit et spécialiste du travail et des technologies, lorsqu’il parle des cadres : très occupés, dans la journée, et souvent très préoccupés lorsque se termine la journée de travail. Un secrétaire général d’organisation est quelqu’un de très occupé, avec bien souvent un agenda de ministre, pour reprendre une expression consacrée. Et lorsqu’il rentre à son domicile, parfois le studio parisien du militant nomade hebdomadaire, ses occupations continuent. Et d’autres préoccupations commencent : préparer le prochain secrétariat national, un comité, un bureau, une commission exécutive, réfléchir au thème du prochain congrès, au renouvellement de son équipe, aux sollicitations des plus jeunes… Tout cela fait partie du job et j’ai le sentiment, au moment du passage de témoin, d’avoir fait le job.

S’il est bien une préoccupation qui ne m’a jamais quitté tout au long de ces années, c’est bien celle de rester au contact et en dialogue avec les salariés, les ingénieurs et cadres, les managers, au contact des adhérents, de la vie militante et la vie au travail. Une préoccupation somme toute avant tout professionnelle, comme un cœur de métier que j’ai acquis avant de m’engager et que je ne quitte pas.