Devant les évolutions des conditions d'emploi et de travail des salariés, la CFDT affirme son ambition de ne pas subir les événements et de ne pas se limiter à la simple gestion des conséquences des modernisations dans les domaines techniques ou organisationnels. Elle revendique d'être associée aux processus décisionnels et de pouvoir négocier les objectifs d'une modernisation et les modalités de conduite du changement.

Appliquée à l'installation des progiciels de gestion intégrée, cette orientation signifie que nous voulons discuter et faire valoir un point de vue syndical bien avant la mise en place de ces nouveaux outils informatiques et si possible avant la prise de décision définitive.

Mais voyons d'abord de quels changements il peut s'agir.

Un choix stratégique qui impacte les structures et les fonctionnements de l'entreprise

Les progiciels de gestion intégrée (ERP) ne sont pas de simples outils informatiques un peu plus puissants ou rapides que d'autres. Ce sont de nouveaux systèmes d'information globaux qui imposent de nouveaux modèles de structures et d'organisations du travail dans et jusqu'à la périphérie de l'entreprise.

Leurs caractéristiques d'intégration et de travail en temps réel (ou presque) provoquent des changements considérables dans le travail en modifiant les fonctions et les tâches à la fois dans le domaine des contenus et des qualifications et dans celui des conditions de travail. Elles induisent aussi une transparence et une traçabilité qui facilitent l'identification des responsabilités, les contrôles automatisés et la comparaison en continu des performances et des coûts. Ces moyens constituent autant d'aides à la prise de décision : autant d'armes redoutables si les logiques des décideurs ne sont que financières.

La mise en place d'un ERP est donc à replacer dans un projet global de réorganisation complète de l'entreprise qui concerne tant les structures, les flux ou les fonctions que les organisations du travail et le management. Tout cela conditionne la vie au travail des salariés (emploi, évolution de carrière, qualification et santé au travail) et exige donc information, consultation, concertation et négociation avec les organisations syndicales.

Négocier les objectifs et les modalités de développement des ERP

Notre première préoccupation, avant même d'aborder les conséquences sociales de l'installation des ERP, est de traiter par la négociation les questions de l'opportunité et des objectifs d'une telle opération :

  • quelles sont les finalités de l'entreprise qui sous-tendent cet investissement ?
  • quelle est la structure cible de l'entreprise ?
  • quels sont les scénarios d'activité correspondants à ce choix ?
  • quelles sont les interactions avec d'autres changements techniques ?
  • etc.

La négociation collective, dont le droit prévoit une intervention sur tout ce qui touche aux conditions d'emploi et de travail des salariés1, se doit d'anticiper et d'infléchir très en amont les décisions quasi irréversibles et extrêmement lourdes de conséquences pour l'avenir des salariés, de ces progiciels intégrés.

Les pratiques syndicales comprennent les éléments suivants :

  • veille technologique et enquête sur le terrain,
  • étude des problèmes mis à jour,
  • définition d'un projet syndical offensif mobilisant les prérogatives des institutions représentatives : CE/CMP (comité d'établissement/comité mixte à la production) et CHSCT (comité d'hygiène sécurité et conditions de travail),
  • mise en place d'un groupe de projet CFDT,
  • information, sensibilisation et mobilisation des salariés,
  • demande motivée d'ouverture de négociations.

Mettre en œuvre les préroga tives du comité d'entreprise

L'article L 432-2 du Code du Travail prévoit «Le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à tout projet important d'introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d'avoir des conséquences sur l'emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail du personnel».

Selon la jurisprudence, un projet important d'introduction de nouvelles technologies présente les caractéristiques suivantes :

  • le « projet » suppose une élaboration déjà complexe mais encore amendable,
  • l'« importance » s'apprécie au regard du coût global, du nombre de salariés concernés et des conséquences pour leurs conditions d'emploi et de travail,
  • la « nouvelle technologie » est évaluée dans le périmètre où elle fait irruption et au regard des modifications qu'elle apporte dans l'organisation du travail et les conditions de travail résultantes.

Il ne fait aucun doute que les progiciels de gestion intégrée constituent une nouvelle technologie de l'information et de la communication, élément essentiel de la stratégie des entreprises.

Les prérogatives du comité d'entreprise ou du comité d'établissement, précisées par l'article L 432-2 dans le cas d'introduction de nouvelles technologies, sont évidemment à mettre en œuvre le plus tôt possible et même si l'installation des ERP est déjà engagée. Il y aurait d'ailleurs dans ce cas un délit d'entrave à faire constater par l'inspection du travail.

Cette procédure relative à « l'introduction de nouvelles technologies » est un outil majeur des représentants du personnel car elle permet une intervention des élus avant toute décision et elle donne des moyens ad hoc (infos, expertise et suivi). Cependant, il revient le plus souvent aux élus d'en exiger l'application alors que l'employeur pourrait et devrait spontanément le faire.

Ces prérogatives légales trouveront toute leur portée et leur sens si elles sont au service d'un projet syndical élaboré par un collectif (section syndicale, liaison syndicale d'entreprise). Elles comportent :

  • l'information obligatoire par le chef d'entreprise,
  • l'information complémentaire recueillie sur le terrain par les élus (tournées, entretiens, enquêtes, etc.),
  • l'analyse globale et macroscopique du projet (structure et fonctionnement de l'entreprise, niveau et qualité des emplois, reconversion/adaptation, etc.),
  • le recours à l'expertise (correspondant à une demande collective pour permettre un jugement critique fondé, L 434-6),
  • la formulation d'un avis motivé pour que les intérêts des salariés soient pris en compte dans le projet de l'entreprise,
  • les initiatives des élus du CE2 en direction des salariés (sensibilisation, vulgarisation, débat en utilisant les moyens et les ressources des activités sociales et culturelles,
  • l'activation prioritaire de la commission formation sur ce projet,
  • les recours juridiques en cas de problèmes (refus d'information ou d'expertise, non respect des délibérations, entrave, etc.),
  • le renvoi vers le CHSCT du traitement de certaines questions (organisation et conditions de travail) avec demande d'avis,
  • la critique et le suivi du plan d'adaptation à cette nouvelle technologie,
  • la création d'une commission emploi (suivi des entrées-sorties et la prévention de l'exclusion par l'anticipation en formation/reconversion).

Les principales préoccupations du CE concerneront la structure et les évolutions prévisibles de l'entreprise, notamment son périmètre, ses instances et lieux de décisions et les grands choix organisationnels, industriels, économiques et financiers.

Ces choix peuvent percuter les intérêts des salariés dans :

  • le volume et la qualité des emplois aujourd'hui et demain,
  • la formation professionnelle et l'évolution de carrière,
  • les politiques de classifications et de salaires,
  • les règles éthiques et le respect des personnes,
  • une mise en concurrence accrue entre sites ou pays.

Les élus du CE sont fondés à exiger l'application d'un principe de précaution devant cette nouvelle technologie. En effet les intérêts à long terme des travailleurs et ceux de l'entreprise elle-même peuvent être menacés par cette aventure technologique.

Quels ajustements, quels retours en arrière ou quelles sorties du système existent réellement ?

L'autonomie des choix de l'entreprise est-elle affectée ou préservée ?

Les risques relatifs au niveau de l'investissement, à la dépendance envers les éditeurs de progiciels, à la migration des savoir-faire et à la perte de substance de l'entreprise sont-ils évalués et maîtrisés ?

Impliquer le Comité Hygiène Sécurité et Conditions de Travail

L'article L 236-2 du Code du Travail stipule «Le comité [CHSCT] est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions d'hygiène et de sécurité ou les conditions de travail et notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail» et l'article L 432-2 «Le comité est consulté sur le plan d'adaptation (...) en cas de mutations technologiques importantes et rapides».

Dans le cas d'un projet d'installation d'un ERP, les deux dispositions légales ci-dessus s'imposent. Il appartient alors à la section syndicale de coordonner la mise en œuvre de toutes ces prérogatives par les élus de CE et de CHSCT, mise en œuvre trouvant sa cohérence dans un projet collectif associant les adhérents et salariés concernés.

Ces dispositions permettent :

  • l'information officielle fournie par le chef d'entreprise,
  • l'enquête sur le terrain auprès des salariés et le recueil de plaintes relatives aux conditions de travail et à la nouvelle organisation du travail,
  • l'analyse des conséquences globales sur l'organisation du travail et les conditions de travail,
  • l'évaluation des incidences de ces changements sur l'égalité professionnelle,
  • le recours à une expertise spécifique (L 236-9) en lien avec celle du CE (projet important modifiant les conditions de travail). Cette expertise au service du CHSCT fera l'analyse des changements d'organisation du travail et de leurs conséquences sur les conditions de travail des salariés,
  • la prise de position et la fixation éventuelle de priorités dans le programme annuel (ergonomie du système et des postes de travail, prévention du stress, analyse des dysfonctionnements, etc.).

Les domaines d'investigation du CHSCT porteront prioritairement sur les conséquences des choix organisationnels liés aux changements technologiques :

  • les modalités de conduite des changements (qualité des systèmes participatifs, progression par étapes, implication de la formation, etc.),
  • le contenu du travail et les qualifications (enrichissement ou déresponsabilisation, transfert de tâches, etc.),
  • les relations de travail et relations hiérarchiques,
  • les conditions de travail résultantes (horaires, charge mentale, « flicage » , etc.).

Le rôle des délégués du personnel sera de prendre en compte les problèmes individuels, en particulier en analysant les évolutions de qualification et de classification et à partir de cela d'alimenter le CHSCT et le CE.

Développer des systèmes participatifs avec les salariés

La participation des salariés dans la mise en œuvre d'un tel projet de modernisation technique et organisationnelle n'est pas un supplément d'âme, elle est dictée par deux impératifs distincts :

  • la mise à plat indispensable des savoir-faire individuels et des fonctionnements réels de l'entreprise,
  • l'importance des changements induits pour les conditions de vie et de travail des salariés.

Si tous les conseillers et décideurs souhaitent cette implication et cette contribution des salariés, c'est positif mais les syndicalistes CFDT y posent certaines conditions et préconisent une participation dont les modalités sont à négocier. Ce qui signifie :

  • en fonction du stade d'avancement du projet, assurer la participation démocratique des salariés concernés,
  • garantir les moyens et conditions appropriés pour cette participation,
  • suivre le traitement des problèmes identifiés,
  • développer un lien syndical entre les groupes de travail et les différents secteurs concernés.

La « participation démocratique des salariés » est pour la FCE-CFDT un processus d'association et de mise à contribution des salariés dont les objectifs et les modalités ont fait l'objet d'une concertation ou - mieux - d'une négociation. La participation est dite « démocratique » parce qu'elle garantit la liberté de parole et d'intervention de tout salarié et une déontologie dans le traitement des contributions ou des problèmes posés. Elle permet d'éviter les situations de manipulation ou d'instrumentalisation de l'expression des travailleurs. Et elle renvoie à la négociation collective le traitement des problèmes non résolus.

Informer et communiquer sur le plan syndical

L'objectif est d'humaniser et de socialiser les fonctions et les relations dans l'entreprise.

La présentation des analyses et positions syndicales se fera :

  • en utilisant le système de communication interne à l'ERP,
  • en privilégiant la qualité des informations et des présentations,
  • en combinant la présence physique, le lien social et la relation télématique,
  • en assurant un temps de réponse optimal, le juste-à-temps de l'information syndicale face à l'ERP,
  • en développant des moyens pour favoriser et valoriser les questions ou les retours d'information.

La modernisation étant un processus continu, l'organisation syndicale, pour ne pas se laisser surprendre, doit s'organiser pour assurer une veille technologique et organisationnelle.

Un réseau dense d'adhérents dans toutes les catégories est une condition d'efficacité.

1 : Code du Travail : art. L 131-1 et L 432-2, accord interprofessionnel sur les nouvelles technologies, accord de branche sur les mutations technologiques (CCN Chimie 1990), statut des IEG (Industries Electrique et Gazière).

2 : ou institution équivalente, comme le Comité Mixte à la Production dans le cas des industries électrique et gazière.