Le titre ne doit pas effaroucher. C’est de l’urgence de la formation, qu’il s’agit, aujourd’hui comme hier. Dans le grand mouvement du développement de l’offre de formation des adultes, qui s’institutionnalise de 1964 (le travail de Jacques Delors au Commissariat au Plan) aux accords interprofessionnels de 1970 et 1971, l’Education nationale est peu, pour ne pas dire pas, concernée. Et voilà qu’un homme politique, Olivier Guichard, alors ministre de l’Education nationale, s’en étonne.

Il y avait de quoi ! Depuis une dizaine d’années, le processus des restructurations industrielles (surtout alors le charbon et l’acier) déchire des régions, dont la Lorraine. Un des pionniers de l’époque, Bertrand Schwarz, directeur de l’Ecole des Mines de Nancy, ne se contente pas de former, entre autres, des ingénieurs-formateurs. Il crée, parallèlement, à Nancy, le CUCES (Centre universitaire de coopération économique et sociale), pépinière de formateurs d’adultes. Des expérimentations sont lancées. Les premières le sont dans le bassin ferrifère sinistré de Briey. Des modules de formation adaptés aux publics (les ouvriers à reconvertir mais aussi les épouses…) sont proposés, au plus proche des lieux de vie. Des salles municipales, des salles paroissiales, sont des lieux d’accueil, mais point les écoles. De tout cela, l’Education nationale est absente, faute de montages juridico-techniques appropriés.

En 1970, le ministre décide de créer, au sein du ministère, une nouvelle direction : celle de l’Orientation et de la Formation continue. Mais, deuxième surprise, le directeur délégué nommé est un inconnu dans cette grande maison. Ingénieur à la Régie Renault, Raymond Vatier a eu, dans les années 50, la responsabilité du centre d’apprentissage. Et oui, il existait encore quelques grandes entreprises accueillant des jeunes pour les préparer aux CAP industriels et au-delà, pour certains. S’agissant de « l’au-delà », il n’existait pas grand chose en dehors du Conservatoire national des arts et métiers. Le CNAM, ouvert démocratiquement aux adultes, à Paris et quelques capitales régionales, propose un beau parcours mais qui demande de l’héroïsme. La promotion professionnelle passe par deux, trois, quatre ans de cours du soir et du samedi, après le boulot. La vie de famille en prend un coup !

Raymond Vatier veut aller plus loin. Il interroge d’autres entreprises industrielles et, avec leur accord, met en place un Centre interentreprises de formation en 1958, visant à permettre à de bons professionnels (niveau BEP à BTS) d’accéder, en deux années pleines, à la compétence d’ingénieur de fabrication.

Le projet se construit et se nourrit d’une élaboration d’outils et de processus pédagogiques adaptés au public concerné. Le Centre choisit le statut d’une association loi 1901. Il se dote d’un conseil d’administration où sont représentés les organisations syndicales représentatives et les entreprises adhérentes et de l’UIMM. Ce Centre grandit et prend vite le nom de baptême de « CESI : Centre d’études supérieures industrielles ». Ce même CESI vient, en 2008, de fêter ses 50 ans.

Raymond Vatier, cet « inconnu », avait donc déjà à son actif, un beau parcours de pionnier. Il faut lire, dans l’ouvrage, la belle histoire du travail d’équipe entrepris, avec tant de collaborateurs compétents et impliqués. Mais la greffe culturelle entre le dynamisme entrepreneurial des pédagogues du terrain, d’une part, et la distanciation par rapport à l’expérimentation d’autre part, que le modèle réglementaire distille dans les esprits, demandait du temps ; beaucoup de temps.

À peine quelques milliers d’enseignants, évidemment uniquement des volontaires, vont effectuer un stage de longue durée soit en entreprise, soit dans une grande association ou dans une collectivité territoriale. L’élan est brisé en 1974, par un oukase bureaucratique de Joseph Fontanet, alors ministre de l’Education nationale et ses conseillers.

Heureusement, en quatre ans, une première architecture institutionnelle a pu être mise en place. Aujourd’hui, chaque académie dispose d’instruments pour assurer une présence de la formation des adultes au sein de l’école. L’échelon de base, le GRETA (groupement d’établissements pour un service de formation des adultes) est le plus connu du public. Un chapitre du livre fait le point sur ce volet. La page d’histoire réouverte ici doit être lue comme encouragement à reprendre le chantier, trop tôt interrompu. Les deux préfaces d’Antoine Prost et Jean-François Cuby y invitent.

En janvier 2009 s’est achevée une négociation pour une actualisation des accords interprofessionnels sur la formation qui ont jalonné ces quarante dernières années. L’Europe, à juste titre, nous appelle à avancer pour gagner la bataille de l’accès du plus grand nombre aux compétences et à leur actualisation tout au long de la vie. C’est une des conditions du développement d’une société avancée dans la démocratie et la justice. Dans notre pays, l’Education nationale ne peut pas rester à la marge.

Un clin d’oeil pour terminer. Parmi les quelques acteurs cités au fil des lignes, Jacques Delors, Raymond Vatier, Antoine Prost ont été des militants CFDT. Est-ce un hasard ?