L’UCC et l’UFFA, les deux structures qui, au sein de la CFDT, ont en charge respectivement les cadres et les fonctionnaires, mènent en commun une réflexion sur leur champ commun de préoccupation, à savoir les cadres des fonctions publiques, et en particulier sur la frange la plus élevée hiérarchiquement, ce qu’il est convenu d’appeler les hauts fonctionnaires. Elles ont ainsi organisé en octobre 2000 un colloque, dont l’intitulé : «Quelle haute fonction publique pour un Etat efficace ?» montre bien qu’elles n’entendent ni l’une ni l’autre se laisser enfermer dans une démarche corporatiste.

Il ne s’agissait pas seulement de réfléchir et d’agir pour de meilleures carrières pour les hauts fonctionnaires mais aussi de s’interroger parallèlement sur le sens de leur mission et l’efficacité de leur action. Il ne s’agissait pas non plus de simplement analyser qui sont les hauts fonctionnaires ou ce que signifie la haute fonction publique. Cette analyse, parfaitement légitime, est plus celle de la sociologie que du syndicalisme : celui-ci inclut l’analyse mais ne saurait s’y limiter, l’action doit suivre. Il s’agissait bien de se demander «quelle haute fonction publique», c’est-à-dire quels hommes mais aussi quelle organisation du travail, doit exister «pour un Etat efficace», c’est-à-dire en ayant un objectif revendiqué de service de la nation : pour l’ensemble des citoyens et non pour les fonctionnaires eux-mêmes.

Les attentes de la population sont grandes vis-à-vis d’un service public de qualité, qu’il soit rendu directement par l’Etat ou par un service concédé mais de toutes façons de plus en plus inclus dans un système concurrentiel, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières nationales. Les comparaisons seront faites par un utilisateur de moins en moins usager et de plus en plus consommateur. Le service public doit faire preuve d’efficacité.

Le budget de l’Etat n’est pas inépuisable. Entre diverses façons de prélever, entre diverses façons de dépenser, des choix sont faits, souvent implicitement, par reconduction des habitudes, il est temps de mettre les choses sur la table et d’expliquer aux citoyens pourquoi telle décision a été prise et non telle autre. Pourquoi on supprime la vignette automobile et non la redevance télévision, par exemple. Si le service public veut garder sa raison d’être, la référence à l’intérêt général, il lui faudra expliciter ses critères.

Comme le signe Nicole Notat dans ce numéro, la CFDT considère que l’Etat stratège ne doit pas être étouffé par l’Etat employeur et appelle les hauts fonctionnaires à ne pas céder aux réflexes corporatistes. Le rôle de l’Etat est d‘être l’acteur des régulations collectives, les fonctionnaires en sont le moyen. Comme tels, ils doivent être respectés mais aussi évalués, la collectivité a le droit de leur demander des comptes. Le but de l’Education nationale est de former les élèves, celui des Finances est de lever les moyens financiers de l’action régalienne, celui de l’Equipement est d’assurer l’organisation des infrastructures de transports. Que les fonctionnaires soient nombreux et bien payés n’est pas un but en soi. L’intérêt général et l’intérêt des fonctionnaires ne sont ni systématiquement semblables ni automatiquement inconciliables. L’efficacité globale, c’est le meilleur service rendu à la société civile â€“ dont font aussi partie des fonctionnaires en tant que citoyens â€“ dans les meilleures conditions de travail qu’il est possible d’assurer aux agents de l’Etat et des collectivités.

L’UCC et l’UFFA ne se sont pas seulement intéressées aux hauts fonctionnaires mais aussi à l’ensemble des cadres des fonctions publiques, à leur recrutement, à leur formation initiale et continue, à leur déroulement de carrière, à l’organisation du travail et aux temps de travail, aux problèmes de déontologie et de responsabilité.

Les cadres des fonctions publiques ne forment pas un grand ensemble monolithique que tout opposerait aux cadres d’un secteur privé qui serait lui-même homogène. Entre les deux mondes, l’un régit par le Statut général des fonctionnaires et l’autre par le Code du travail, il existe aussi des agents à statut et régimes spéciaux qui font partie du service public mais pas de la fonction publique… Les Fonctions publiques sont trois : il y a la Fonction publique d’Etat, elle-même composée des administrations centrales et des services déconcentrés, mais aussi la fonction publique hospitalière et celle des collectivités territoriales. Ajoutons les militaires â€“auxquels le syndicalisme est interdit â€“mais pour avoir un panorama complet il faudrait aussi parler des agents de l’Etat contractuels ou vacataires ainsi que des fonctionnaires de France Télécom devenus actionnaires de leur société…

En tout état de cause, et malgré leur diversité interne, public â€“et singulièrement fonction publique â€“et privé restent des mondes fondamentalement différents, aux cultures dissemblables et entre lesquels les passerelles sont rares. Les passages d’un univers à l’autre sont relativement peu nombreux, et presque toujours dans le même sens, du public vers le privé. En France aujourd’hui, fait remarquer un observateur attentif, on sait privatiser mais on ne sait pas incorporer dans le secteur public : faire passer le personnel d’un hôpital de la Croix-rouge au statut de l’Assistance publique relève de la mission impossible, alors même que le régime général de sécurité sociale sait accueillir d’anciens agents publics.

La désaffection relative constatée ces dernières années de l’«élite» de la jeunesse pour le service public au profit d’un secteur privé plus immédiatement rémunérateur fait craindre à certains que les meilleurs ne se tournent plus vers le service de l’Etat. On peut aussi y voir l’espoir que la haute fonction publique recrute des hommes et des femmes d’un modèle un peu différent de celui de la rue Saint-Guillaume ! Car, comme le dit Philippe Antoine, la diversité - dans les árigines sociales et sans doute dans les mentalités â€“de la haute fonction publique aiderait à asseoir sa légitimité aux yeux des citoyens.

La fuite des cerveaux du public vers le privé, si elle prenait un caractère massif, pourrait devenir préoccupante dans les prochaines années pour le service de l’Etat. Une réponse pourrait être une plus grande fluidité entre les statuts. Les murailles qui séparent le privé du public devraient comporter quelques poternes dont l’accès serait plus aisé et à double sens !Les compétences acquises dans le privé pourraient ainsi être mises en Å“uvre dans le public et réciproquement. L’unification â€“ ce qui ne veut absolument pas dire l’uniformisation â€“ du monde du travail n’est pas pour demain mais elle est probablement une condition de la modernisation de l’Etat et de l’harmonie sociale.

Ni le colloque d’octobre ni ce numéro qui en est issu n’ont la prétention d’être autre chose qu’une étape. Comme l’explique François Fayol dans sa conclusion, l’UCC continuera à travailler sur les cadres de la fonction publique mais ce ne seront pas seulement ces derniers qui réfléchiront sur eux-mêmes. La réflexion â€“et l’action qui la suivra â€“sera le fait de l’ensemble des membres de l’organisation syndicale.

N.B. : les propos tenus et écrits n’engagent que leurs auteurs, pas les institutions auxquelles ils appartiennent.