Au lendemain de l’adoption du Traité de Nice en décembre 2000, le Parlement européen a critiqué ce compromis et a proposé l’institution d’une seconde Convention (la première ayant rédigé la Charte des droits fondamentaux) afin de faire avancer l’intégration européenne. Un an plus tard, en décembre 2001, le Conseil européen de Laeken a convoqué la Convention européenne sur l’avenir de l’Europe. Les chefs d’État ou de gouvernement ont chargé cette seconde convention d’élaborer de nouvelles règles pour l’Europe unifiée afin de renforcer la démocratie, la transparence et l’efficacité au sein d’une Union européenne élargie par la simplification des procédures et des structures de prise de décisions et par la réorganisation des traités existants.

La (seconde) Convention européenne a tenu des discussions, avec la participation active de la CES, de février 2002 à juin 2003, et a préparé un projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe. Un large consensus a été atteint lors de la séance plénière du 13 juin 2003. Il a ensuite été soumis au Conseil européen de Salonique du 20 juin 2003 ; la partie I porte sur les valeurs, les objectifs, les responsabilités, les procédures de prise de décisions, les instruments et les institutions ; la partie II renferme la Charte des droits fondamentaux ; la partie III concerne les politiques et la partie IV, les méthodes de révision et les mécanismes permettant de quitter l’UE.

Le sommet européen de décembre 2003 n’a pas permis d’aboutir à un accord, mais, le 18 juin 2004, les chefs d’État ou de gouvernement se sont finalement entendus sur la première Constitution de l’Union européenne. La Constitution entrera en vigueur lorsque tous les États membres l’auront ratifiée. Ils ont deux ans pour le faire.

Cet accord est important au regard de la nouvelle situation qui s’est formée à la suite de la réunification de l’Europe, réalisée par l’adhésion des dix nouveaux États membres à l’UE en mai 2004. Du fait des compromis contenus dans le Traité de Nice, qui visaient à permettre aux États membres de mettre en œuvre des mécanismes de blocage, l’Union européenne était en permanence menacée de paralysie. Il y avait un risque réel de voir l’Union européenne se transformer en zone de libre échange régie par un minimum de règles communes et tournant le dos à une intégration plus poussée et à une union politique, économique et sociale. C’est ce qui a incité le Parlement européen – et, un an plus tard, le Conseil européen – à instituer une Convention chargée de rédiger la Constitution.

Évaluer les résultats

Il y a plusieurs manières d’évaluer la nouvelle Constitution.

Premièrement, à l’aune des exigences de la CES ; dans ce cas, il est clair qu’elle n’est pas entièrement satisfaisante.

Deuxièmement, il est possible de comparer la version finale avec le projet de la Convention européenne. Là aussi, il est clair que des régressions et des restrictions ont été introduites et que la conférence intergouvernementale (CIG) a fait marche arrière.

Troisièmement, si elle la compare aux traités CE/UE actuellement en vigueur dans le Traité de Nice, la CES est convaincue que la nouvelle Constitution est meilleure et, pour les syndicats, la seule approche pragmatique et réaliste consiste à la soutenir.

La CES a salué l’issue de la Convention européenne. La Convention a proposé d’intégrer la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution et a également permis de progresser sur certaines questions sociales. Par contre, la Conférence intergouvernementale ne l’a pas suivie et s’est arrêtée à un second meilleur choix. Ce dénouement montre les limites de la méthode intergouvernementale, par comparaison avec la procédure plus ouverte, plus démocratique et transparente de la Convention européenne.

Le Comité exécutif des 9 et 10 juin 2004 a renforcé la pression sur les gouvernements afin qu’ils aillent de l’avant, et, la veille du Conseil européen, la CES a lancé un ultime appel aux chefs d’État ou de gouvernement afin de progresser davantage sur les questions sociales. Des améliorations mineures ont été obtenues (par exemple, une référence au sommet social tripartite a été incluse), mais, finalement, les chefs d’État ou de gouvernement se sont accordés sur un plus petit dénominateur commun que le document de la Convention. Le veto national sur la politique fiscale, même en matière de lutte contre la fraude fiscale transfrontalière, a été rétabli.

La partie la plus innovante de la nouvelle Constitution est la partie I, qui a fait l’objet de débats intenses pendant 18 mois et donne un nouveau cadre d’action à l’Union européenne après l’unification de l’Europe. De manière générale, plusieurs avancées ont été obtenues.

D’importants objectifs, principes et valeurs (tels que la solidarité, l’égalité, la non-discrimination, l’égalité entre hommes et femmes, etc.) seront renforcés.

La co-décision (entre le Conseil des ministres et le Parlement, sur un pied d’égalité) deviendra la procédure législative normale.

De nouveaux pouvoirs seront conférés au Parlement européen en matière de législation et de budget annuel de l’UE (y compris l’agriculture).

L’UE acquiert une personnalité juridique unique.

Le nouveau président du Conseil européen sera élu pour deux ans et demi, ce qui rendra sa fonction plus visible et renforcera son rôle de coordination. Des présidences collectives de 18 mois remplaceront la présidence tournante de six mois, ce qui devrait, espérons-le, assurer davantage de cohérence dans les activités.

Le poste de ministre européen des Affaires étrangères sera créé de manière à ce que l’UE puisse parler d’une seule voix et jouer un rôle plus visible sur la scène internationale.

Un nouveau système de vote « à la double majorité » (des États et de la population) sera instauré (la Convention avait proposé 50 % des États membres et 60 % de la population, mais la CIG a augmenté ces pourcentages à 55 et 65, respectivement, en ajoutant, malheureusement, un grand nombre de dispositions complémentaires, de mécanismes de sécurité et d’exemptions, compensés en partie par la possibilité d’instaurer une coopération renforcée entre les États membres qui le désirent). Les capacités de blocage seront réduites par l’abolition du veto national dans certains domaines (par exemple, les fonds structurels, l’asile et l’immigration).

Les symboles européens (tels que le drapeau, l’hymne à la joie, la devise « Unie dans la diversité » et l’euro – qui est plus qu’un symbole) seront inscrits dans le texte.

Une batterie simplifiée d’instruments légaux : les lois européennes et les lois-cadres européennes remplaceront les directives et les règlements, etc.

Par comparaison avec le Traité de Nice, et dans une perspective plus spécifiquement sociale, la nouvelle Constitution européenne marque une avancée.

La nouvelle Constitution reconnaîtra spécifiquement le rôle des partenaires sociaux et du sommet social tripartite.

L’« économie sociale de marché » et le « plein emploi » figureront parmi les objectifs de l’Union (dans le traité de Nice, les termes sont « économie de marché ouverte » et « emploi élevé »), ainsi que la promotion de la « justice sociale », la « solidarité entre les générations » et la lutte contre l’« exclusion sociale et la discrimination ». L’égalité entre les sexes deviendra une valeur de l’Union.

La politique sociale sera expressément reconnue comme une « compétence partagée » et non uniquement comme une compétence « complémentaire ».

La Constitution contiendra la Charte des droits fondamentaux (et donc d’importants droits sociaux), qui deviendra de ce fait juridiquement contraignante et dont la Cour de justice européenne pourra être saisie. La Charte renforce les droits fondamentaux et les rend plus visibles, y compris les droits sociaux et syndicaux. Des dispositions relatives aux politiques horizontales, à la protection des consommateurs et à l’intégration de la dimension du genre, de même qu’une clause sociale, seront intégrées dans la Constitution.

Un fondement juridique pour les services d’intérêt économique général sera instauré.

De nouvelles possibilités de coordination économique à l’intérieur de la zone euro seront incorporées au traité.

La sécurité sociale des travailleurs migrants ne requiert plus l’unanimité.

La coordination ouverte sera reconnue comme un outil de politique sociale et industrielle. La Commission peut proposer des lignes directrices, en particulier dans les questions liées à l’emploi, à la législation du travail, aux conditions de travail, à la sécurité sociale et à la politique industrielle.

Les citoyens se verront reconnaître un droit d’initiative : s’ils arrivent à recueillir un million de signatures dans un certain nombre d’États membres, ils auront le droit de demander à la Commission de soumettre une proposition appropriée au législateur sur des questions pour lesquelles les citoyens considèrent qu’un acte légal s’impose.

Il est clair que la CES et ses affiliés n’ont pas atteint tous leurs objectifs. Quoi qu’il en soit, nous avons obtenu le maximum possible vu le contexte politique, social et économique qui a prévalu pendant les 18 mois de la Convention et les 12 mois de la CIG.

Aussi la CES soutient-elle la Constitution – en dépit de ses limites – parce que les avantages qu’elle apporte aux travailleurs et aux citoyens sont réels et constituent certainement une amélioration par rapport aux dispositions actuelles.

Pendant la procédure de ratification, la CES et ses affiliés continueront de souligner l’importance du progrès qui passe par l’affermissement et la modernisation du modèle social européen et par le renforcement de l’Europe sociale. Un rejet de la Constitution aurait pour effet de paralyser l’UE pendant une période indéterminée et faire ainsi le jeu des nombreux opposants à l’UE, qui voudraient tant la voir battre de l’aile et devenir sans objet.

La mondialisation, le pouvoir du capital multinational et la nécessité de combattre le néolibéralisme impliquent que les syndicats et la société civile ont besoin d’une UE en développement et reposant sur des valeurs sociales fortes. La nouvelle Constitution est imparfaite, certains points sont faibles, mais c’est la seule que nous ayons sur la table. Elle doit être considérée comme le point de départ d’un long processus, et non comme un aboutissement. La CES et ses affiliés feront de leur mieux pour garantir que cette première étape ne sera pas la dernière et que l’Europe sociale en particulier pourra réaliser de nettes avancées à l’avenir.

En raison de la prochaine révision des traités, la CES est prête à prendre sa place dans une future (troisième) Convention et à soumettre des propositions concrètes afin de renforcer l’Europe sociale et les droits syndicaux transnationaux ; d’améliorer les dispositifs entre la coordination et la gouvernance économique; d’introduire la majorité qualifiée pour la politique sociale et la politique fiscale ; d’aligner la Partie III avec la Partie I en ce qui concerne l’engagement sur le plein emploi, sur l’économie sociale de marché, la clause horizontale, et d’actualiser les anciennes dispositions.

Durant la période suivante, la CES fera campagne pour :

  • le plein emploi, la croissance économique, le développement durable et la justice sociale
  • les droits syndicaux transnationaux pour les travailleurs
  • des systèmes de dialogue social acceptables dans tous les pays de l’UE
  • des services publics et des Etats assurant une protection sociale de qualité
  • des normes de travail dans les services basées sur le principe du pays de destination et non sur celui du pays d’origine
  • l’égalité
  • sur d’autres étapes constitutionnelles susceptibles de développer l’Europe sociale.