Au début des années soixante-dix, Maxime Le Forestier avait imaginé un dialogue intergénérationnel : « ce monde, je l’ai fait pour toi, disait le père. Je sais, tu me l’as dit déjà, disait l’enfant. Je ne t’en demandais pas tant ! Il est foutu et je n’ai plus qu’à le refaire, un peu plus souriant, pour tes petits enfants… ».

Aujourd’hui, c’est un autre dialogue sur l’avenir du monde que Réinventer le progrès nous propose. Celui de deux quarantenaires engagés pour un vingt et unième siècle qu’ils veulent plus désirable qu’aujourd’hui, mais chacun de manière différente : le syndicaliste Laurent Berger et l’écologiste Pascal Canfin, directeur général de WWF France, ancien député européen et ministre délégué au Développement.

L’organisation même de ce dialogue est un événement. De fortes incompréhensions ont longtemps été entretenues entre les syndicats, considérés par les écologistes comme des appareils marqués au fer du productivisme, et l’écologie politique, vue par le syndicalisme comme activiste et privilégiant les questions sociétales aux problématiques sociales du monde du travail. Des divergences que Laurent Berger aborde sans fard : « on ne peut pas vouloir en même temps la révolution écologique et le conservatisme social ! ».

De ce point de vue, Laurent Berger et Pascal Canfin ne font l’impasse sur aucun débat : Notre-Dame des Landes, les recherches scientifiques sur les OGM, la filière nucléaire, la loi Travail… Mais loin des postures, chacun rappelle le fondement de ses positions pour ouvrir des chemins de convergence plus fondamentaux.

 

  • Nos modes de consommation et de production ne sont pas soutenables et il faut changer de perspective en passant du « plus » au « mieux » ;
  • La réinvention du progrès passe par l’anticipation des mutations à l’œuvre, l’explicitation et la mise en délibération collective des choix à opérer, la clarté et la constance des orientations arbitrées ;
  • Au-delà des conséquences de la transition écologique et de la révolution numérique sur l’emploi, l’enjeu est également leur impact sur le travail comme sur nos modes de vie ;
  • Chacun n’est pas égal face aux transitions à opérer, et il n’y aura pas d’avenir désirable dans un système d’opposition entre les gagnants et les perdants : la question de l’accompagnement est centrale dans une visée à la fois protectrice et émancipatrice d’un modèle social à refonder ;
  • Ces transitions ne peuvent être conduites dans l’espace national et, à l’inverse, les crises géopolitiques sont déjà en partie des conséquences du dérèglement climatique : il y a donc urgence à redéfinir les outils pertinents pour « civiliser » la mondialisation, dont l’échelon européen est un espace de régulation déterminant ;
  • La conduite de ces transitions nécessite de refonder notre modèle démocratique, car c’est la capacité à faire levier sur l’ensemble de la société de manière horizontale, plutôt qu’à décider de manière verticale, qui est la condition première de réussite d’un progrès réinventé.

 

Sur ce dernier point néanmoins, les cultures militantes des deux hommes les conduisent à des pistes de démocratie participative sensiblement différentes. Pour l’écologiste, les nouveaux leviers de l’action collective sont fondamentalement « mouvementistes » et sociétaux, alors que le syndicaliste s’appuie sur la théorie des parties prenantes et la dimension structurante des corps intermédiaires.

Pour autant, tout au long de cette conversation construite à partir d’exemples et de retours d’expérience concrets, bien des propos de l’un sont venus nourrir ceux de l’autre en offrant au lecteur un éclairage riche des enjeux complexes comme des perspectives à ouvrir. Ainsi, il faut lire ce dialogue pour savoir qui des deux a indiqué que « si l’on ne souligne jamais ce qui avance, on désespère tout le monde ! ». Le futur conjugué au participe présent.