La réforme des retraites est faite. Sans attendre, la loi a été promulguée le 10 novembre dernier par le Président de la République. Cette réforme a donné lieu à de nombreuses contestations et protestations tant les principes qui la guident étaient injustes et déséquilibrés. Aussi, on a pu entendre, trop souvent d’ailleurs, que cette loi était faite au profit des cadres et aux dépens de ceux plus défavorisés, qui commencent à travailler tôt pour des emplois sous qualifiés, mal payés et dont l’espérance de vie est plus faible. Cette réforme est injuste pour tous !

Avec l’âge d’ouverture des droits qui passe à 62 ans très rapidement, les cadres aussi sont concernés. L’âge moyen de liquidation de la retraite des cadres AGIRC est aujourd’hui de 61,5 ans. Un nombre important de cadres issus de la promotion interne seront donc touchés par le décalage, notamment ceux qui ont commencé tôt et ont effectué une partie de leur carrière comme ouvriers, employés ou techniciens. On plaque trop facilement sur les années soixante dix le schéma d’aujourd’hui où un nombre important de jeunes diplômés commence le travail immédiatement sur des métiers très qualifiés.

L’âge de disparition totale de la décote fixé à 67 ans va toucher tous ceux qui ont une carrière incomplète ou hachée. Et si certains ont la chance d’être embauchés comme « cadres » immédiatement, d’autres, trop nombreux, peinent à trouver du travail correspondant à leurs qualifications.

En 2010, il n’est pas rare d’attendre 30 ans pour obtenir un emploi stable, convenablement rémunéré.

Ces jeunes d’aujourd’hui seront directement concernés par la loi et devront attendre 67 ans pour percevoir une pension sans décote. Cette mesure, comme cela a été souligné dès le début par la CFDT touchera particulièrement les femmes qui, cadres ou non, subissent les arrêts et les temps partiels liés à la maternité et à l’éducation des enfants.

Il a même été démontré que les femmes sans enfants subissaient aussi les discriminations salariales et connaissaient plus d’obstacles que les hommes pour accéder aux responsabilités. Ce ne sont pas les mesurettes prévues dans la loi qui changeront cette réalité.

Les cadres ne sont souvent pas hostiles à travailler plus longtemps, sous réserve que les conditions de travail soient satisfaisantes, épanouissantes et que l’on soit reconnu pour ce que l’on apporte. On sait qu’en particulier dans notre pays, c’est loin d’être le cas et que les Français, pourtant très attachés au travail, sont trop souvent très déçus du comportement des employeurs à leur égard.

Demander que l’on travaille jusqu’à 62 ou 67 ans est facile à décréter mais sous réserve que l’on puisse effectivement garder son emploi jusqu’au bout. La plupart le souhaitent alors qu’il faut bien rappeler que plus de la moitié des salariés ne sont plus en emploi au moment de la liquidation de leur retraite.

Une réforme des retraites réussie passera nécessairement par un changement d’attitude vis-à-vis des séniors et par une modification en profondeur, une véritable révolution, des conditions de travail.

La CFDT Cadres, qui travaille depuis longtemps sur ce sujet, sait que c’est le principal grief fait aux entreprises. Respect, considération, reconnaissance, tout reste à réinventer. Les « ressources » humaines ne sont pas une variable d’ajustement, c’est la richesse des organisations. Les pays qui voient leur population active baisser et la main d’œuvre qualifiée se raréfier sont en train d’en faire l’expérience.

La pénibilité n’épargne pas les cadres même si elle prend des formes plus discrètes. L’espérance de vie plus longue des cadres ne doit pas faire oublier que le stress, les injonctions contradictoires, la disponibilité totale font aussi, pour le temps où ils sont supportés, des dégâts parfois irréversibles.

Alors, une réforme pour les cadres ? Il faudra encore beaucoup d’arguments solides pour le démontrer. Ce n’est en aucun la perception de ceux qui, nombreux, ont défilé avec l’ensemble des salariés depuis le printemps car eux aussi, salariés à part entière, ils ne vivent pas en dehors des réalités concrètes. Tous salariés, solidaires, ne les opposons pas.