Issu de recherches empiriques récentes menées dans différents secteurs d’activité, ce livre propose une analyse fine des transformations du temps, du travail et des modes de vie dans nos sociétés contemporaines.

L’auteur propose au lecteur un cheminement réflexif sur les transformations des temps sociaux qui composent la vie des personnes et des différents groupes sociaux, en les replaçant dans l’histoire du long terme. Même si la tendance à la subjectivation, si longuement commentée par certains sociologues, est reconnue comme un élément fort qui touche tant la sphère du travail que les autres, Michel Lallement montre que les groupes sociaux, les classes, les sexes ne sont pas affectés de la même manière par les évolutions du travail et du temps. il opère une distinction entre temps de travail, temps au travail et temps du travail et rappelle ainsi que l’analyse du temps ne peut être entreprise sans un recadrage sur les pratiques institutionnelles, la politique sociale, familiale, la formation, etc.

Après cet éclairage fort utile, l’auteur présente trois « mondes du travail » dans lesquels le temps de travail est soumis à la flexibilité : celui des cadres, notamment dans les entreprises produisant des logiciels, le service de nuit à l’hôpital, le travail à la Poste avec l’introduction des temps partiels. Avec toute la prudence nécessaire quant à la généralisation possible, l’auteur montre les « antinomies de la rationalisation ». Ainsi, voulant gagner en rationalisation matérielle (réduction de la masse salariale), La Poste, en introduisant les temps partiels, « heurte la rationalisation formelle » rendant plus difficile ainsi l’intégration (« difficulté à faire reconnaître les mêmes droits que les autres salariés ») et l’émancipation (« un temps de travail extrêmement court handicape toute la vie sociale. »

La démarche comparative utilisée tout au long du livre est menée un peu plus loin dans le dernier chapitre, avec une comparaison entre la France et la Suède. Là encore, il s’agit de montrer l’ancrage sociétal des « relations au temps », de souligner comment le temps court peut formater le temps long, de montrer qu’on ne peut parler évolutions du temps sans parler de l’action de l’Etat en matière de politique familiale, de pratiques en matière de relations professionnelles, des relations au sein de la famille ou à l’enfant. Les conclusions peuvent apparaître banales : par exemple, « l’espace domestique constitue le principal compartiment de déversement du temps libéré, pour autant, les rapports de genres ne s’en trouvent pas bouleversés », mais le cheminement pour y parvenir insiste sur la nécessité de prendre en compte diverses composantes. Ce livre oblige donc à une réflexion à la fois large et différenciée. Il refuse les approches simplistes dont l’évidence s’impose pourtant si souvent – par exemple : « il n’existe pas de corrélation entre le taux d’encadrement et l’écart entre le temps de travail des cadres et des non cadres. »

La réflexion engagée est donc stimulante. Sans méconnaître les tendances (souvent présentées comme nouvelles) vers l’individualisation et la subjectivation, elle en reconnaît cependant les effets sur les institutions (elles ne sont pas mourantes, mais s’adaptent), les pratiques sociales, les modes de vie des groupes sociaux. « Les politiques multiformes de réduction et de flexibilité du temps de travail offrent peut-être aux salariés des opportunités inédites d’investir leurs forces hors de seuls espaces productifs. Mais cela ne signifie pas pour autant que les mondes du travail et du hors travail sont désormais épurés de toutes formes d’iniquité et de domination. »