Dans les entreprises de dimension moyenne et grande, chacun d’entre nous a au moins une fois assisté à la grand-messe du patron, celle où il présente les résultats économico-financiers de l’exercice échu. A la sortie, alors que vous vous étonnez d’une séquence de l’intervention auprès d’un de vos collègues, celui-ci vous répond : « Oui, mais ça, c’est de la com’ ! ». Premier effet sémantique, la substantification : on parle de la com’ à peu près comme de la viande ou du plâtre, d’un objet matériel. En qualifiant ainsi les choses, votre collègue pointe l’objectif du maître de cérémonie, ce n’est nullement le partage d’une vérité ou même d’une information, mais l’obtention d’un effet sur son auditoire. Nous assistons à une performance d’acteur. Simultanément, celui qui qualifie de la com’ la prestation théâtrale s’exclut du public visé : elle ne l’atteint pas, puisque lui a bien compris le subterfuge.

Nous observons des phénomènes similaires dans les qualifications opérées par les médias ; ainsi lorsque la Banque Centrale Européenne a fourni les résultats de stress tests, jeux de simulations et calculs de ratio sur les bilans des banques. J’ai alors entendu la phrase rituelle en de telles circonstances : « Il semble que la BCE ait avant tout procédé à une opération de communication ». Que faut-il comprendre ? Une organisation, en général assez discrète, se met sur la scène. La plupart des observateurs avertis savent ou pensent qu’en réalité, cette mise en examen factice des banques ne prouve pas grand-chose quant à leur solidité. Il s’agit d’obtenir un effet sur une partie d’un public plus crédule. Des radicaux invoqueront une forme d’intoxication, là où j’aurais tendance à parler de propagande, et où une écrasante majorité de gens évoqueront en effet une opération de communication. Le mot suppose une forme de transmission. Nous retrouvons cette intention dans les expressions telles que « moyens de (télé) communication », où nous désignons des objets relatifs à de la transmission d’information. Sur un registre qui relève de l’émotion, nous communiquons notre angoisse ou notre enthousiasme. On peut aussi prêter à la communication la signification d’un partage : communiquer, c’est rendre commun, d’où mon irritation devant les qualifications fréquentes d’« ascendante » et « descendante », dans un système hiérarchique, qui évoquent bien plus une pure transmission d’information qu’un partage, auquel certains voudraient nous faire croire dans le management dit « participatif ». Qu’il s’agisse de transmission ou de partage, faire de la com’, c’est bien autre chose. « Communication, je me marre » dit le dessin dans lequel un homme affalé dans un fauteuil s’adresse à sa conjointe de retour au domicile après sa journée de travail pour se plaindre de s’être fait « communiquer dessus toute la journée ».

Nous ne faisons que pointer la capacité à fasciner, voire à sidérer et avant tout à séduire. Ce n’est sûrement pas susciter une adhésion fondée en raison. Socrate polémiquait avec Gorgias sur la vertu du discours : chercher la vérité ou chercher un effet de soumission et de domination ? Les dircoms ne lésinent pas sur les moyens pour susciter une forme d’adhésion des salariés, à qui on va déclarer des choses aussi banales que : « améliorer la compétitivité de nos offres sur un marché où la concurrence devient plus forte ». Face à ces recherches du consentement, propices à la servitude volontaire, articulées sur des formes de mensonge (par omission), ou le plus souvent sur des étalages d’évidences, auxquelles personne ne peut raisonnablement s’opposer, le contre-pouvoir des organisations syndicales ne dispose que d’une seule planche de salut : authenticité et fermeté.

Comment dénoncer l’offre par l’employeur d’un petit-déjeuner vitaminé - animation proposée dans le cadre de la semaine de la qualité de vie au travail - ne résolvant aucun problème lié au vécu professionnel quotidien ? Personne ne peut là encore rationnellement s’opposer à une telle mesure, sauf à passer pour un grincheux ! Les PowerPoint remplis d’évidences ne peuvent susciter une opposition. Le but recherché s’avère le même : en obtenant votre consentement, anéantir votre capacité d’opposition, voire même votre esprit critique. Ce dernier point doit éveiller l’attention de l’encadrement intermédiaire, car il se situe en position de proie idéale de ces tentatives d’instrumentalisation ; l’encadrement supérieur se protégeant souvent dans une forme de cynisme.

Nous pourrions déployer le même questionnement à propos de la communication syndicale. Nous cherchons aussi une adhésion des salariés, mais celle-ci est incontestablement plus librement consentie, donc plus difficile à élaborer. L’émancipation fait partie de nos valeurs, il serait paradoxal d’attirer des salariés en les dupant dans un exercice de séduction. Nous avons connu des situations où des équipes syndicales recourraient quasiment à des modes d’expression terrorisante pour faire adhérer les salariés à leur vision. Je leur recommanderais la dénonciation ironique de la com’ d’entreprise en utilisant l’humour, presque toujours mise à nu d’un sens caché, devenant un redoutable outil de déconstruction des préjugés. La communication peut être claire sur son intention tout en préservant le libre arbitre de celui ou celle qui la reçoit. Un petit dessin vaut mieux...

F. de M.